Couteau suisse. De la passion - le fruit -, il y en a dans les cocktails du Saint-Jean. La passion - la vraie, cet amour intense du noble art de cuisiner et de servir -, il y en a dans chaque bouchée, chaque gorgée, chaque moment passé dans cet établissement sis à Nyon. Avouons-le, on y est allés avec un certain a priori. Le Saint-Jean est installé dans un hôtel. Au centre, la réception. A droite, un bar à gins et à cocktails (jusqu'à 90 références tout de même), avec une offre de finger food. À gauche, un petit restaurant. En général, cette formule de type couteau suisse s'avère décevante. En faisant un peu de tout, on ne brille nulle part. Sauf qu'ici, il a suffi d'une rencontre pour créer l'étincelle et contredire ce constat.
De la Sicile à Nyon. Cette rencontre, c'est celle du patron Philippe Kuratle et de son chef Gioele Greco (en grande photo ci-dessus, assis et de g. à d.). Deux hommes qui se sont trouvés au bon endroit et au bon moment. Le premier voulait faire monter en gamme son restaurant et développer une cuisine plus aboutie. Le second cherchait à donner libre cours à ses idées. Issu d'une famille de restaurateurs (père cuisinier, sœur maître d'hôtel au restaurant de l'Hôtel de Ville de Crissier), Gioele Greco a fait ses armes dans le petit restaurant de sa famille en Sicile, puis notamment à La Tanière à Genève (14/20).
Temps long. Les deux hommes s'entendent bien et développent une vision commune, parvenant à donner une véritable identité à leur restaurant. Preuve en est, ce tandem fonctionne depuis un bail, à l'heure où les jeunes chefs semblent préférer accumuler les expériences pour peaufiner leur CV, quitte à faire du name-dropping. «Gioele est arrivé en 2016, alors qu'il n'avait que 19 ans. Depuis, nous sommes devenus amis», raconte Philippe Kuratle. «Il me fait confiance et me laisse exprimer ma créativité», abonde le chef. Le Saint Jean sonne comme un projet pensé, réfléchi, une histoire qui se joue sur le temps long et pas sur un coup marketing. Et cela se sent.
Une partie du Saint-Jean est dédiée aux cocktails et aux tapas.
Le cocktail «Soif du Léman»: gin, mangalore, pinot noir, citron vert, agave.
Faustrime. Le carpaccio de daurade royale est mis en valeur par un impressionnant travail des agrumes en provenance de la ferme de Niels Rodin toute proche. Zestes de combava et billes de faustrime, un citron caviar de couleur pâle, apportent de la vivacité, tandis que les feuilles sont utilisées en sorbet. Une entrée tout en fraîcheur et en légèreté, complétée par le croquant d'une chips de tapioca et relevée par une huile de tagète passion: quelle belle entrée en matière qui sait jouer sur les textures, les contrastes, les températures!
Fusion. Les plats, des classiques revus et corrigés, lorgnent la France, l'Italie ou encore l'Asie. «J'aime bien prendre des recettes traditionnelles et les préparer à ma façon», décrit Gioele Greco. Et même si c'est sa sœur qui travaille à Crissier, on sent le chef fasciné par la belle gastronomie classique. Le canard à l'orange est ainsi modernisé en filet de canette et coulis de mandarine, avec un délicieux pressé de pomme de terre fondant, une mayonnaise épicée et des noisettes du Piémont torréfiées. Élégant, contemporain et réjouissant, le plat reste lisible et n'en oublie pas moins la gourmandise avec une réduction de jus de viande qu'on prend un malin plaisir à associer à l'agrume.
Pâtes fraîches, espuma de taleggio et café: Gioele Greco ose des associations audacieuses.
Le filet de canette et coulis de mandarine: un plat élégant servi avec un fondant pressé de pommes de terre, noisettes du Piémont, et un succulent jus de viande réduit.
La «Tartatin», tarte tatin selon le chef: en spirale, avec un siphon de caramel.
Tartatin. Du côté de la Botte, Gioele Greco propose d'inévitables pâtes fraîches baignant dans un puissant espuma au taleggio et twisté avec du café, en beurre et en poudre. Risquée, la tentative s'avère une belle réussite grâce à un parfait équilibre des saveurs et des textures. Copieux, les plats pourraient décourager de s'intéresser aux desserts, mais ce serait alors faire l'impasse sur la «Tartatin», revisite de la tarte tatin ici en spirale, avec un caramel (encore) en espuma, et un sorbet poire.
Fidèle à lui-même. En tout, le Saint-Jean ne propose que trois entrées, trois plats et deux desserts. Une façon de mieux s'assurer de la qualité des produits, sans s'éparpiller. Signalons une jolie carte de vins 100% suisses, de vraies pépites au prix contenu (aucun flacon ne dépasse 79 francs) et bien sûr des cocktails. Au gin ou autre, on déguste des classiques et des créations bien meilleurs que dans certains établissements spécialisés. Seule petit ombre au tableau: le Saint-Jean n'est ouvert que d'octobre à mi-mai, en fonction de la météo. Aux beaux jours, l'équipe se concentre sur les cocktails et les tapas dehors, sur la place Perdtemps. Alors, comment classer cette adresse? «Ni vraiment bistronomique, ni vraiment gastronomique, on a du mal à se définir nous-mêmes», rigole Philippe Kuratle. Aidons-le: le Saint-Jean est fidèle à lui-même, et c'est justement ça qui fait sa force.
Le Saint-Jean
Rue Saint-Jean 22
1260 Nyon
022 361 55 09
Horaires:
Mardi - jeudi: 17h - minuit
Vendredi - samedi: 17h - 01h
Photos: Alpimages