Texte: David Moginier
LE ROYAUME DES FLEURS. La femme de Pierre-Yves Poget, Annick, était fleuriste avant de le seconder au domaine familial d’Agiez, près d’Orbe. Est-ce pour cela que la cave s’appelle Mirabilis, comme la belle-de-nuit, cette plante sud-américaine dont la fleur s’orne de tons vifs et d’un parfum délicat, la favorite d’Annick? C’est aussi le nom de l’assemblage de gamay, pinot noir, gamaret et galotta qu’élabore son mari sur ces terres à rouge que sont les Côtes de l’Orbe. L’Eucharis, lui, assemble trois cabernets et du merlot, sous ce nom de lis d’Amazonie. L’Adonis, jolie fleur jaune, assemble gamaret et garanoir. Quant au Bellis, famille des pâquerettes, il ne contient que du savagnin blanc. «Comme je fais aussi du sauvignon blanc et du gewurztraminer moelleux que j’appelle savagnin rose aromatique, j’ai cherché un nom pour que les clients les distinguent.»
LE PAYS DU ROUGE. Sur les 7,5 hectares de son domaine posé sur cinq communes, le longiligne vigneron cultive 65% de rouge, qu’il décline en dix vins, en monocépages ou en assemblages, élevés en cuve ou en barriques. Avec sa modestie assumée, il ne s’en vante pas, mais ses crus, dont il cherche à exprimer le fruit et la fraîcheur, se distinguent régulièrement à la Sélection des vins vaudois ou au Grand Prix du vin suisse. Particulièrement ceux élevés sous-bois, à la puissance élégante. Et encore plus son Clos, une vigne historique de gamay d’Agiez, plantée grâce à des sélections massales fournies par la famille Cousin de Concise, un peu de gamay d’Arcenant et de gamay à petits grains. Il continue à renouveler sa vigne en multipliant des greffons des meilleurs pieds.
LA QUÊTE DU 1ER GRAND CRU. C’est comme cela que l’envie d’en faire un 1er Grand Cru a germé. Cette aristocratie des vins vaudois doit répondre à de sévères critères et à des dégustations d’agrément. Sur les 25 vins qui portent cette distinction, 21 sont des chasselas, trois rouges viennent du Château Le Rosey, à Bursins. Et, depuis deux millésimes, il y a le gamay de Pierre-Yves. «La parcelle était historique, un des critères nécessaire. J’ai pu fournir des vins des dix dernières années pour la première dégustation, et j’ai ajouté au bluff un 2003. Mais c’est un sacré parcours pour obtenir la mention.»
DES CRITÈRES STRICTS. Pour se parer du titre, il faut encore une densité de plantation élevée, des vignes d’au moins sept ans, un rendement limité à 0,68 litre/m2, un minima de 80° Œchslé, une visite annuelle de la parcelle et une dégustation annuelle du millésime. «Il y a aussi pas mal de frais, mais le jeu en vaut la chandelle. Tout cela fait aussi un peu parler de nous. Et nos clients apprécient ce 1er Grand Cru.» Pour preuve, alors qu’une partie de la parcelle était encore vinifiée en cuve, Pierre-Yves Poget va augmenter la proportion de 1er Grand Cru à l’avenir. À la dégustation, ce gamay offre un très beau fruit, avec de la cerise et des baies des bois, que viennent magnifier des notes de torréfaction. Le tout à un prix très raisonnable (19 frs. 50). «Dans les Côtes-de-l’Orbe, il est difficile de vendre des vins trop chers.»
DOMAINE FAMILIAL. Pierre-Yves est la troisième génération de Poget à cultiver de la vigne et à la vinifier. Si son grand-père et son père élevaient principalement du bétail dans l’exploitation, le petit-fils a développé la cave (tout en gardant un peu de grandes cultures). Après son CFC et son passage à Changins, il a rejoint son père André en 2003 avant de reprendre l’affaire en 2012. Au fil du temps, il a passé la surface de 2 ha à 7,5 ha où poussent désormais seize cépages. «Quand je goûte des vins que j’aime, j’ai tendance à vouloir planter un peu de son cépage.» Mais il cherche toujours une adéquation avec ses divers terroirs. Comme cette parcelle sur la commune d’Orbe, le Clos de Bellevue, qu’il a ressuscitée en la défrichant et en sculptant sur une pente à 50% des terrasses pour y planter du chasselas sur une terre lourde et argileuse. Une sélection parcellaire dont le raisin ne fait qu’en partie la deuxième fermentation.
AOC EN MOUVEMENT. Avec cette nouvelle génération de vignerons, il est de ceux qui ont fait bouger l’appellation. «On a eu dans le passé des remarques désagréables sur notre région. Mais on en entend de moins en moins, fort heureusement, parce que c’est un beau terroir.» Annick et Pierre-Yves vendent leurs vins majoritairement à une clientèle privée, qu’ils reçoivent dans leur grand caveau familial depuis que la cave elle-même a migré à l’extérieur du village pour des questions d’espace. Sinon, une série de restaurants et deux revendeurs se partagent le reste de la production.
COUP DE CŒUR. Le Clos 2022 1er Grand Cru, du fruit, du caractère et un petit côté torréfié qui soutient l’ensemble pour un beau vin de garde.
EN CAVE. Cinq blancs (2 chasselas, un doral, un sauvignon blanc et un savagnin blanc). Dix rouges (un gamay, un pinot noir et deux assemblages en cuves, un Escargot rouge Sélection, deux assemblages, un pinot, un merlot et un gamay 1er Grand Cru en barriques). Un Œil-de-Perdrix, un gewurztraminer moelleux et un Blanc de Blanc en méthode traditionnelle.
Photos: DR
