Texte: David Moginier

CRÉATION ORIGINALE. Qu’une nouvelle cave fleurisse en Lavaux – à Rivaz qui plus est, commune riche en encaveurs – ce n’est pas courant. Qu’en plus, elle soit créée par un œnologue franco-allemand, c’est encore plus rare. Et qu’au final, ce dernier cherche à cultiver sa vigne au plus près de la nature, c’est même phénoménal. Pourtant, André Bélard a de l’expérience dans la région. Sorti de la HES de Changins en 2006, il a passé ensuite par la Régence Balavaud, à Vétroz, avant de devenir l’œnologue de l’icônique Louis-Philippe Bovard, à Cully, puis de s’associer avec une autre icône, Pierre-Luc Leyvraz, à Chexbres. Séparé de ce dernier, il a créé les Dryades en reprenant une cave abandonnée de Rivaz le 1er septembre 2023, juste à temps pour accueillir sa première vendange.

 

RETOUR À LA NATURE. Bélard, formé à la cave, a appris sur le tas à s’occuper de la vigne avec Leyvraz. Jusqu’à ce fameux millésime 2021 à la météo exécrable. «On a dû traiter dix-sept fois cette année-là. Je me suis posé des questions comme le scientifique que je suis. Et j’ai découvert l’agroécologie. Je suis allé me former en France.» Il s’agit alors de redonner de la vie à la terre, de recréer un système complet plus apte à se défendre contre les maladies de la plante. «Il s’agit de nourrir le sol pour que chacun ait assez à manger.» Il commence donc par couvrir le sol de BRS, ces restes de bois rabotés, qui vont nourrir le sol.

 

PREMIERS ESSAIS. Dans son vignoble, il va faire plusieurs essais. Il couvre également le sol de plantes diverses, chacune ayant son rôle à jouer. Les pois, le seigle, la consoude, la menthe et tant d’autres espèces captent ainsi l’azote, produisent des protéines, retiennent l’humidité. À l’automne, il a donc semé puis au printemps, il a roulé ces grandes plantes pour former un couvert végétal. «L’idée est aussi de recréer un sol mycorhizé où les petits champignons vont aussi rentrer dans les racines de la vigne pour les nourrir et les protéger.» En 2022, année sèche, c’est cette parcelle qui va produire le plus, sans le moindre arrosage.

André Bélard

André Bélard cultive pour l’instant 1,8 ha entre Saint-Saphorin et Dézaley, mais il devrait étendre un peu son domaine l’année prochaine.

 
André Bélard

«Je suis un scientifique, les croyances, ce n’est pas pour moi», lance André Bélard.

DES ARBRES BIEN CHOISIS. Après l’agrécologie, voici l’agroforesterie. Au-dessus de Rivaz, sur une vigne de 1800 m2 de chasselas, il plante une douzaine d’arbres, des fruitiers (parce qu’il aime leurs fruits) et des forestiers. L’idée est de les tailler pour qu’ils forment un ombrage bienveillant au-dessus de ses plants. «La vigne vient de zones forestières, elle n’est pas heureuse de bouillir au soleil sur des fils de fer.» Tout cela participe donc à recréer un système complet de biodiversité où chacun des éléments aide les autres dans un monde idéal.

 

SYSTÈME SYNTROPIQUE. Sur un rang, il a également installé des légumes, en partenariat avec une maraîchère de la région. «On peut revenir à produire davantage sur un même espace et nourrir tout le monde.» Plus loin, sur un petit carré de 65 m2, il a lancé un système syntropique à plusieurs niveaux. Sur la canopée, tout en haut, des ormes. À l’étage en-dessous, figuier, amandier et pêcher forment un premier écran au-dessus de la vigne. En dessous, raisinets et cassis poussent au-dessus d’un tapis végétal riche. «C’est un cycle vertueux de fertilisation. Il s’agit de capter au maximum tous les photons de la lumière pour créer de la matière.»

 

LE REGARD DES VOISINS. Bien sûr, tout cela détonne un peu dans le vignoble traditionnel de Lavaux. «Je suis un scientifique, les croyances, ce n’est pas pour moi.» Tous ces essais sont donc suivis par des scientifiques, comme les carottages que fait le FIBL, l'Institut de recherche de l'agriculture biologique, pour suivre la mycorhization du sol. «Je procède petit à petit, parce que ça prend du temps et que je viens de me lancer. Mais c’est un plaisir de travailler ces sols et ces plantes de manière vivante.»

 

NOUVEAU DOMAINE. Les Dryades, du nom de l’esprit grec des arbres, sont donc nés avec le millésime 2023. André Bélard cultive pour l’instant 1,8 ha entre Saint-Saphorin et Dézaley, mais il devrait étendre un peu son domaine l’année prochaine. Si tout est certifié bio, toutes les vignes ne sont pas encore en agroécologie, particulièrement en Dézaley, vu la pente du terrain. Il y cultive huit cépages pour une dizaine de vins, dont deux nature (un gamay et un vin orange).

 

DÉGUSTATION. André Bélard cherche toujours à faire des vins frais, à la grande buvabilité. Le Saint-Saphorin et le Dézaley le prouvent facilement, l’Untitled encore plus. Ce dernier est le chasselas provenant de la parcelle où il fait ses essais. Il y a de la tension, un beau côté agrume, de l’harmonie et de la vie dans ce «vin de copain». Le viognier a la typicité du cépage, sans lourdeur. Côté rouge, le gamay exprime sa jutosité et son fruit. Le pinot noir est aussi léger avec un reste de carbonique. Sa version barriquée, venue d’un jus de petites baies, a beaucoup de classe et de rondeur.

 

>> www.domainelesdryades.com

 

Photos: DR