Du palace à l'alpe. Longévité absolue dans un palace parisien (25 ans au Bristol), 19/20 au GaultMillau et trois étoiles Michelin pour le restaurant Epicure, Meilleur ouvrier de France... Les records, Eric Frechon les connaît mieux que personne. Mais le printemps dernier, le Normand d'origine a décidé de quitter cet univers particulier pour «explorer de nouveaux territoires». Huit mois plus tard, le voilà en Suisse pour l'ouverture, mi-décembre, de deux adresses de la Ferme Saint-Amour, à Crans-Montana et à Gstaad, après celles de Megève et de Courchevel. Un concept culinaire et festif, dont il signe les cartes depuis sept ans.
Eric Frechon, partir au sommet, en affichant le maximum de points dans deux guides gastronomiques de premier plan, c'est le rêve, non?
Oui. Après 25 ans dans un seul établissement, qui offre certes une folle diversité culinaire, j'avais besoin de bouger. Un quart de siècle, c'est beaucoup! Et un poste comme celui que j'occupais dans un palace, c'est lourd: il y a le restaurant triplement étoilé certes, mais aussi les banquets, le room service, les autres points de vente, le développement... Lorsque l'on est le nez dans le guidon, on ne se rend pas vraiment compte de tout cela, c'est seulement ces derniers mois que j'en ai pris conscience.
Huit mois après, êtes-vous content de ce choix?
Très, très content. Aujourd'hui, j'ai une liberté complète et ça, ça n'a pas de prix. Au Bristol, j'étais toujours présent, à tous les rendez-vous, pour tous les projets culinaires. Depuis mon départ, j'organise mon temps comme j'en ai envie. Cela ne signifie pas que je ne fais rien, mais que je gère ma vie en faisant un peu plus attention à moi et à ma famille.
À l'instar de plus en plus de chefs, vous vous installez en Suisse. Notre pays est-il donc une terre promise pour les gastronomes?
La Suisse a une réelle vie culinaire et les Helvètes sont de vrais gastronomes. Alors lorsque l'on a une opportunité de développer un concept auquel on croit, dans un pays comme le vôtre, on n'hésite pas vraiment.
Une opportunité, dites-vous. Expliquez-nous justement comment vous en êtes arrivé à ouvrir, presque simultanément, deux tables dans les Alpes suisses?
Il y a trois ans, David (ndlr: Brémond, co-propriétaire des restaurants Ferme Saint-Amour) a rencontré un épicurien suisse, actif dans l'immobilier à Crans-Montana et surtout amoureux de la Ferme Saint-Amour. Celui-ci lui a dit qu'il voulait absolument une antenne à Crans-Montana. Ils se sont associés et se sont mis à l'ouvrage pour rendre cela possible. Aujourd'hui, nous sommes fiers de doubler cette ouverture avec celle de Gstaad.
À Crans, le local est au cœur du village, à la Rue du Prado 4. Mais dans l'Oberland bernois, vous ouvrirez loin du centre. Pourquoi donc?
C'est une jolie histoire dont je n'ai eu connaissance que ce matin (rires). Peu après avoir discuté avec David, ce même homme se baladait à Gstaad et est tombé sur un vieux corps de ferme dont il est tombé amoureux. Cela tombait bien pour ouvrir la Ferme Saint-Amour! Quelques travaux plus tard, nous avons hâte d'accueillir nos convives dès le 19 décembre.
Vous atterrissez dans deux régions au riche patrimoine culinaire. Votre concept culinaire est-il compatible avec ces produits locaux?
Complètement! Nous avons à cœur, dans les régions dans lesquelles nous nous implantons, de travailler avec les producteurs locaux, d'écouter leurs conseils. De plus, il faut dire que les Suisses sont assez protectionnistes envers leurs produits, il est ainsi assez aisé de trouver des fournisseurs pour ce que l'on veut. Claironner que nous avons les meilleures idées et matières premières, sans faire attention au tissu local, ce n'est pas moi. J'ai horreur d'arriver avec mes gros sabots. Il faut toutefois se rendre compte d'une évidence: au vu de la taille de ces établissements et du passage prévu, nous devons pouvoir compter sur ces produits très qualitatifs en grande quantité. Cela resserre le nombre de possibilités sur place.
Gstaad et Crans-Montana révèlent une vitalité culinaire folle, avec des tables établies depuis des décennies pour certaines, d'autres qui sont très reconnues, d'autres encore qui éclosent régulièrement. Comment pensez-vous vous démarquer?
Nous avons un concept clair et affiché: une gastronomie de qualité doublée d'un côté plus festif, d'un bout à l'autre de la soirée. À Crans-Montana, il n'y avait pas encore cela. Nous avons donc voulu apporter un supplément d'âme à ce lieu qui a déjà conquis les hédonistes, et ces derniers pourront donc compléter leur séjour de la meilleure des manières. Ce qui a été bien accueilli, il me semble.
Vous avez passé du temps dans les deux stations à l'occasion des ouvertures. À l'avenir, vous verra-t-on sur place, ne serait-ce que de temps en temps?
Il y aura assurément un suivi quotidien par moi-même ou l'un de mes trois sous-chefs exécutifs. Venir en personne, de temps en temps oui, mais peu souvent. Je fais confiance aux équipes en place, qui ont impeccablement saisi l'ADN de la Ferme Saint-Amour et qui savent le transmettre aux employés et aux clients. Le chef qui assurera les services à Crans a travaillé longtemps à Megève, je lui fais confiance à 100%.
À Crans-Montana, au cœur du Valais, on ne peut éviter la question vinicole. De quelle manière y avez-vous répondu?
Il est vrai que nous sommes dans une très belle région vinicole! Nous en sommes heureux et conscients, et proposerons une douzaine de vins blancs et autant de rouges de ce canton. Nous ouvrons aussi la cave à d'autres régions helvétiques, ainsi qu'aux pays environnants, naturellement.
On l'a dit, vous avez affolé les compteurs des guides durant 25 ans et avez tourné la page. Mais une plaque jaune ou rouge ferait bien devant la porte, non?
Ce n'est pas l'objectif. Nous souhaitons simplement donner du plaisir à nos convives et leur permettre de bien manger en faisant la fête. À partir du moment où ils boivent bien et ils mangent bien, nous sommes heureux.
Vous-même, que pouvons-nous vous souhaiter pour la suite?
De continuer comme cela, à prendre et donner du plaisir à mes hôtes. Ce métier m'a tellement apporté ces dernières décennies qu'aujourd'hui, je souhaite lui rendre un peu.
La Ferme Saint-Amour à Crans-Montana
Photos: Benoît Linero, Patrick Güller, Pierre Baelen