Texte: Daniel Böniger Photos: Claudia Link
RACINES, BAIES ET CUMIN SAUVAGES. Nicolas Darnauguilhem possède un talent rare: il est capable de mettre dans ses assiettes tout le paysage que l’on admire autour de son restaurant, la fameuse Pinte des Mossettes à Cerniat (FR). C'est qu’il est profondément enraciné dans sa région, tout comme sa cuisine. Ce qui n'empêche pas une approche très contemporaine de la gastronomie, comme le prouvent son tartare de bœuf de pâturage parsemé de baies sauvages et de betterave, son bouillon de racines, ou ses nouilles froides de sarrasin accompagnées de concombre grillé et d’un jus de cumin sauvage. Quant au dessert, c'est un rêve à peine sucré, issu de trois sortes de shizo, récoltées juste à côté du restaurant. Comme le chef mise résolument sur la durabilité tant dans son jardin que dans le choix de ses producteurs, il mérite incontestablement son titre de «Green Chef of the Year» 2025, décerné par Bio Suisse et GaultMillau! Avec cette distinction s'ajoute par ailleurs un nouveau point, puisque la Pinte des Mossettes est désormais notée 17/20.
UN PLAT SIGNATURE RÉINVENTÉ CHAQUE JOUR. S'il fallait choisir une création qui caractérise au mieux la philosophie culinaire de ce restaurant posé dans un paysage de rêve, au milieu des montagnes, ce serait sans doute la merveilleuse salade verte de Nicolas Darnauguilhem. C'est quasiment le plat signature de la maison, servi après le plat principal, comme c'était autrefois la tradition dans la région, accompagné d'une sélection de fromages locaux. Actuellement, la salade est une véritable promenade dans le jardin. Elle se compose de tagètes, de shizo, de laitue, d'huile de feuilles de figuier et d'une purée de cerises, pour ne citer que les éléments principaux. Chaque feuille est vaporisée individuellement d'une vinaigrette spéciale, à base d'eau-de-vie de pomme et de fleur de fenouil. Selon le chef, ce plat, qui est constamment réinventé en fonction des saisons, nettoie le palais. En hiver, les légumes marinés et les salades amères, qui ont déjà résisté à plusieurs gelées, prédominent. Au printemps, la brigade cueille des herbes sauvages, d’abord, en avril, sur les rives du lac de la Gruyère, plus tard sur le coteau. «Si les herbes restent les mêmes, leur goût change en fonction de l'altitude». Objectif pour le chef, créer avec chaque plat une expérience culinaire qu'il serait impossible de reproduire seulement 100 kilomètres plus loin. Son pain et son beurre battu, aromatisé avec du foin provenant d'une prairie située à 1800 mètres d'altitude, en sont un autre exemple.
UNE ÉQUIPE QUI SE DONNE ET DES PRODUCTEURS DE PREMIER ORDRE. Nicolas Darnauguilhem, qui répond aisément au cahier des charges de «Bio Cuisine» (c'est-à-dire au moins 30% de produits bio), ne prêche pas seul dans ses montagnes. Toute l'équipe, très efficace, de la Pinte des Mossettes tire à la même corde. Dont le sommelier Olivier Dopke qui, au moment des vendanges, transporte les grains de gamay et de petite arvine, de Vétroz, en Valais, jusque dans le canton de Fribourg, pour en faire un vin quasi régional qui sera servi à la Pinte. Un vin qui, après la vinification, est stocké dans la cave de la chartreuse de La Valsainte toute proche. D'ailleurs quand, au début de l'année, Nicolas Darnauguilhem s'est demandé s'il devait engager soit un autre cuisinier soit plutôt un jardinier, il a vite opté pour le second. Voilà pourquoi on croise aujourd'hui Thomas Philippe, qui s'occupe des légumes, des herbes, des poules et des baies, et qui aide aussi en cuisine pendant le service. Il ne faut pas oublier non plus tout le réseau de producteurs bios chez qui se fournit le chef. Comme la ferme Le Sapalet, d'où provient la viande d'agneau, superbement parfumée. Ou la ferme De la Chenaux, à un quart d'heure du restaurant, pour le bœuf, qui sera ensuite découpé et rassi au restaurant, puisqu'à la Pinte des Mossettes, on n'achète que des animaux entiers.
VINYLES, PEINTURES À L'HUILE ET NOURRITURE PLEINE D'ÉMOTIONS. Si la salle est limitée à 24 couverts au maximum, chaque convive aura droit à une expérience totale. Il doit d'abord choisir de s'asseoir soit dans le salon du rez-de-chaussée, où un vieux tourne-disque diffuse du jazz dans le style de Chet Baker, soit à l'étage supérieur, où crépite une cheminée, où le sol craque, entouré de tableaux aux thèmes agrestes. À midi comme le soir, le restaurant propose un menu de sept plats. «Chez moi, on retrouve en général trois produits seulement dans chaque assiette», explique Nicolas Darnauguilhem. Par exemple une salade de tomates avec des baies lacto-fermentées relevée d'une gelée au vinaigre de rose. Ou un filet de féra du lac Léman avec un cœur d'oignon sucré et une purée de persil vert vif, le tout complété par une sauce vierge. Avec, au final, un repas riche en émotions, qui laissera des souvenirs impérissables à chaque convive.
RETROUVER DES SOUVENIRS D'ENFANCE IDYLLIQUES. De la féra du lac Léman? Ce n'est pas un peu loin de la Pinte des Mossettes? «Pas tellement, sourit ce père de famille de 43 ans. Je sais que je suis têtu quand il s'agit de la provenance locale des produits que j'utilise en cuisine, mais là, ça va.» D'ailleurs, il a récemment autorisé son pâtissier à utiliser du chocolat, puisque c'est aussi un produit traditionnel dans la région. Par contre, cela ne signifie en aucun cas que son restaurant proposera bientôt de la vanille ou des fruits de mer. Mais au fait, pourquoi Nicolas Darnauguilhem, né à Genève et ayant longtemps travaillé en Belgique, est-il devenu cuisinier? Peut-être pour retrouver les moments idylliques passés dans la ferme familiale de son père, dans le sud-ouest de la France, où il y avait du bétail, des cultures maraîchères et des arbres fruitiers. «Dans mes souvenirs, c'est comme si toute la journée, tout ce qui se passait du lever du soleil jusqu'au soir n'avait pour but que le moment magique du repas en commun!» Un petit nuage de nostalgie embrume les yeux de celui qui assure «cuisiner pour rendre le monde meilleur». Ce qu'il réussit d'ailleurs, puisque quand on quitte la Pinte après ce merveilleux repas, après ces heures agréables passées dans ce magnifique endroit, on est incontestablement un peu plus heureux qu'avant.
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