Photos: François Busson

De plus en plus de viticulteurs romands passent au Bio. Pour sauvegarder l’avenir de la planète et la santé des consommateurs et aussi, tout simplement, parce que c’est le meilleur moyen de produire des vins de qualité. Mais cette reconversion, inéluctable à plus ou moins long terme, n’est pas simple. Denis Hermanjat, viticulteur à Commugny, en témoigne.

 

Du Bio sans le savoir. Comme le Monsieur Jourdain du Bourgeois gentilhomme de Molière qui faisait de la prose sans le savoir, Denis Hermanjat, propriétaire exploitant avec son frère aîné Luc de la Cave de la Charrue à Commugny, faisait depuis des années l’essentiel de leurs travaux en bio sans être labellisé. «Depuis 25 ans que je suis là, précise-t-il, on n’a jamais utilisé d’engrais chimique. Cela fait des années que l’on travaille l’inter-rang et semons des engrais verts pour ramener de l’azote naturel. On va d’ailleurs arrêter d’amener du compost et enlever les bois de taille. Avant, on les broyait sur place pour fournir de la matière organique mais on s’est aperçu que leur décomposition bouffait de l’azote au lieu d’en apporter au sol». Les insecticides ont également été bannis depuis des lustres au profit de la technique de confusion qui consiste à poser des petits spaghettis rouges chargés de phéromones pour égarer le papillon porteur du vers de la grappe et éviter qu’il ne se reproduise. «Un procédé bio sympa puisque l’on passe simplement une journée à pied dans les vignes à accrocher ces pièges et on est bon pour la saison…».

Portrait de Denis Hermanjat sur des fagots de sarments retirés des vignes.

Denis Hermanjat sur des fagots de sarments retirés des vignes.

Cave et salon de thé. Bien entendu, ces choix ont eu une répercussion sur les rendements: une baisse de 30% naturellement compensée par une amélioration de la qualité du vin. Illusoire dans ces conditions de pouvoir vendre une bouteille de Chasselas à huit francs, ce qui n’est possible qu’en produisant les quotas pleins. Mais cela n’empêche pas les deux frères de mettre en bouteilles l’essentiel de leur vendange et de commercialiser leurs 40 000 à 50 000 bouteilles produites chaque année, directement au domaine. L’essentiel de la vente se fait au sein du coquet salon de thé créé en 2010 pour permettre à l’épouse de Denis d’exercer ses talents de pâtissière. «On a deux petits cavistes et quelques restos du coin mais on vend pratiquement toutes nos bouteilles au domaine au détail. Ça arrive souvent qu’une petite dame venue boire son café le matin reparte avec une ou deux bouteilles pour le repas du soir». Une clientèle de proximité donc, qui compte nombre d’expatriés, le vin demeurant un des meilleurs moyens de s’identifier à une région et à un terroir.

Portrait de Denis Hermanjat dans sa cave

Denis Hermanjat dans sa cave

Tea room

Le tea-room de la Cave de la Charrue.

Domaine familial. La Cave de la Charrue est née du regroupement de deux domaines familiaux. En 1999, Luc et Denis rachètent un premier domaine, héritage d’un grand oncle et, en 2008, reprennent le domaine du papa qui donnent toujours un coup de main sur l’exploitation. Aujourd’hui, les deux frères cultivent un peu plus de neuf hectares de vigne. S’y ajoutent 35 hectares de grandes cultures, en agriculture de conservation depuis trois ans: labours profonds proscrits et des sols le plus souvent sous couvert végétal. Luc, le grand frère, s’occupe de tout ce qui est production végétale tandis que Denis Hermanjat se concentre sur la transformation et la commercialisation. A noter que six tonnes des blés produits sur l’exploitation finissent dans les délicieuses pâtisseries de l’épouse de Denis. Et tous les samedis, le pain est cuit au feu de sarments!

 

Se passer la bague au doigt. Président des Vins de Nyon et de l’interprofession de la Côte au sein de l’OVV qui représente plus de la moitié du vignoble vaudois, Denis Hermanjat avoue que cette reconversion au bio lui pompe pas mal d’énergie: «C’est comme un mariage. Tant qu’on ne vous a pas passé la bague au doigt, les petits écarts sont permis. Aujourd’hui, si on a un petit couac climatique ou qu’on loupe un traitement, on peut encore faire appel à la chimie. Le jour où on est marié au Bio, ce n’est plus possible sauf à renier ses engagements. Pour moi qui suit à la cave, c’est plus facile à gérer, mais pour mon frère qui est à la vigne, il sait qu’il n’aura plus le droit à l’erreur du tout». Mais, pour Denis Hermanjat, il s’agit autant d’un mariage d’amour que de raison. Car il a pu se rendre compte, par le biais de la vente directe, que sa clientèle se préoccupait de plus en plus de la manière dont est produit le vin qu’il boive, en particulier de l’utilisation on non d’intrants chimiques.

14 types de vins de 8 cépages différents sont commercialiser dont deux vins phares: le chasselas grand cru et le rosé de gamay.

Dans 15 ans, le Bio sera la norme. «De plus en plus de domaines viticoles de la Côte sont en bio ou en reconversion, Neuchâtel étant le canton le plus à la pointe dans ce domaine. Mais dans 15 ans, je pense que le Bio sera devenu la norme. Les gens veulent du bio, mais les politiques sont encore confrontés à des lobbies chimiques tellement puissants qu’ils traînent des pieds. Hors la vraie question est: que va-t-on laisser après nous? La gloire? Contentons-nous de transmettre à nos enfants des terres qui ne sont pas complètement foutues. Et tant qu’à faire, allons encore plus loin que le bio et explorons les possibilités de la biodynamie et de la permaculture».