Texte: François Busson Photos: François Busson
Reynald Parmelin a souvent le sourire aux lèvres et on le comprend. Démarrée il y a trente ans, l’aventure viticole et œnologique de cet ancien enseignant de Changins s’est muée en parcours triomphal. Capable à la fois de rafler les plus prestigieuses récompenses dans les concours et d’approvisionner de ses fameux flacons bleus l’un des deux géants suisses de la distribution, le Domaine de la Capitaine n’a jamais aussi bien porté son nom.
Quand avez-vous produit votre premier vin bio?
Le premier essai date de 1990, lorsque j’ai repris une partie du domaine familial déjà en production intégrée. J’étais alors maître de pratique viticole à Changins et j’avais monté un module avec des collègues sur la culture bio. A l’époque, le bio était très peu répandu en Suisse. Il y avait Les Balisiers à Genève, le Domaine de Beudon en Valais et Les Coccinelles à Neuchâtel. En 1994, ma première année en reconversion bio, il y avait peut-être cinq domaines de plus. Car le bio avait alors fort mauvaise réputation. Certains des restaurateurs auxquels je proposais mon vin, dans les premières années, refusaient tout simplement de le déguster quand ils voyaient la mention bio sur la bouteille. On a dû adapter nos étiquettes en laissant seulement le Bourgeon et en enlevant la référence à Bio Suisse. Comme ça, les gens qui appréciaient le bio et donc connaissaient le symbole du Bourgeon étaient informés et les autres n’étaient pas effrayés. Il faut dire que les premiers à faire du vin bio furent souvent des non-professionnels qui maîtrisaient mal la viticulture et l’œnologie et qui produisirent parfois des piquettes écornant l’image du vin bio. En plus, l’écologie n’était pas du tout à la mode, Franz Weber et ses troupes se faisaient régulièrement clouer au pilori comme de dangereux gauchistes échappés de Mai 68. Il fallait être complètement fou pour faire du bio à l’époque!
Mais alors, qu’est-ce qui vous a poussé à vous lancer dans l’aventure?
J’ai toujours connu mon papa avec de sérieux problèmes d’estomac liés aux produits chimiques qu’il utilisait dans la vigne et dont on se protégeait mal à l’époque. Ensuite, durant ma formation, j’ai fait par hasard deux stages dans des domaines bios en Nouvelle-Zélande et aux Etats-Unis et cela m’a passionné. Et à Changins, on s’est retrouvé à plusieurs à s’intéresser à ces nouvelles techniques de viticulture. Le cheminement vers le bio fut avant tout une aventure collective. Avec un souci majeur pour moi, en tant qu’œnologue: ne pas produire un vin bio d’une qualité inférieure à un vin conventionnel. Pas question de faire du bio pour être moins bon!
Quelles sont les principales difficultés que vous avez rencontrées dans cette transition vers le bio?
Certains points du cahier des charges bio nous ont causé quelques soucis. L’interdiction de la chaptalisation (sucrage) du vin, par exemple. Car moins de sucre, c’est moins d’alcool, et on sait que ce dernier est un support des arômes. La première année, on a voulu produire un vin moins alcoolisé pout être sûr d’arriver à s’en sortir une année moins ensoleillée. Résultat, un vin à 11 degrés d’une fadeur extrême. Heureusement, avec le réchauffement climatique, la probabilité d’un manque d’alcool dans la vendange s’est faite rare. On serait même aujourd’hui confronté au problème inverse: un taux d’alcool trop élevé si on tarde à vendanger certaines parcelles. Mais les plus gros problèmes qu’ont rencontrés les pionniers du bio comme moi concernaient les produits de traitement, principalement contre le mildiou. Dans les années 90, il y avait zéro conseil à ce sujet en Suisse. La deuxième année, on a brûlé la moitié de nos vignes avec un produit dont on ignorait qu’il ne fallait pas le mélanger à du cuivre. Heureusement, les vignerons bios romands ont eu la sagesse de se regrouper. Chacun essayait un procédé différent chez soi et les résultats étaient communiqués à tout le groupe. On a pu également profiter des conseils techniques d’un agriculteur français qui avait une bonne expérience de produits que l’on a pu ensuite importer. Et cela nous a soudés.
Vous avez démarré avec un tout petit domaine et vous êtes aujourd’hui l’un des plus gros exploitants viticoles de La Côte. Comment cela a été possible?
J’ai hérité de mon papa, comme mon frère, 3 hectares de vignes. C’est pourquoi j’ai continué pendant plusieurs années à travailler à Changins. Après trois ans de tâtonnements, je maîtrisais en gros la production de vins bios. Ensuite, l’opinion des consommateurs a heureusement évolué. A cause de différents scandales sanitaires, comme la vache folle à la fin des années 90, suivie quelques années plus tard des œufs à la dioxine, les gens se sont mis à réfléchir sur ce qu’ils mangeaient et buvaient. Mais le gros tournant dans l’opinion remonte seulement à quatre ou cinq ans avec l’apparition du spectre du réchauffement climatique. Parallèlement, des vignerons bios ont commencé à récolter des médailles au Grand Prix du vin suisse ou au Mondial des pinots, Marie-Thérèse Chappaz a fait la une du Parker. Mais l’agrandissement de mon domaine, de 3 à 22 hectares, situé aujourd’hui sur les communes de Bursins, de Gilly, de Vinzel et de Gland, s’est fait progressivement, à mesure que mes vins ont eu plus de succès. Un élément déclencheur ayant été, en 1995 et 1996, la présence d’un de mes assemblages rouges et d’un de mes assemblages blancs sur les vols Swissair en Business et en First. L’image de la compagnie suisse était telle, alors, qu’avoir vos vins servis sur ses vols était un extraordinaire gage de qualité.
Et l’idée de la bouteille bleue… D’où vient-elle?
En 1994, quand j’ai été labellisé bio, j’ai cherché une bouteille différente. Je voulais donner une image technique, pointue du bio, en finir avec cette image du baba à cheveux longs avec des soccoli aux pieds qui se contente de regarder sa vigne pousser avant de la vendanger. Quand je suis tombé sur cette bouteille bleue, ça a été le coup de foudre. Mais elle est quand même restée six mois sur un coin de mon bureau. Je partais en bio, avec une bouteille bleue et une étiquette d’enseignant. Autant dire que ce n’était pas gagné… J’ai fait un premier test avec 500 bouteilles et les clients ont été séduits petit à petit. Aujourd’hui, c’est devenu ma marque de fabrique! Et j’ai lu, ici ou là, que la couleur bleue bonifiait ce qu’il y avait à l’intérieur.
Comment voyez-vous l’avenir des vins bios en Suisse romande?
On a plafonné pendant vingt ans à 1 ou 2%. On arrive aujourd’hui à 7 ou 8%. Nous allons avoir deux votations cette année qui vont beaucoup influer sur la suite, en particulier celle sur l’initiative «Pour une eau potable propre et une alimentation saine», qui vise à supprimer toutes les subventions pour l’utilisation de pesticides et d’antibiotiques. Si les deux initiatives passent, tout le monde sera obligé de passer en bio. Et si ça ne passe pas, je continuerai à penser que l’avenir de la viticulture suisse est dans le bio. La nouvelle génération sait ce qu’est un écosystème et j’ai dans ma clientèle beaucoup de jeunes couples qui sont venus au bio quand ils ont eu un enfant.