Texte: David Moginier Photos: DR
Rouges charpentés. Maxime et Clémence Sother ont racheté le Domaine du Manoir, à Valeyres-sous-Rances, et le Château de Malessert, à Perroy, il y a trois ans. Les Alsaciens avaient de nombreux projets pour ces 40 ha de vignes, en chasselas sur la Côte et plutôt en rouge dans le Nord vaudois. L’un d’entre eux vise à valoriser les «terroirs exceptionnels» de Valeyres. «Il y a ici de quoi faire de tout grands pinots noirs», assure leur directeur technique, Pierre-Olivier Dion-Labrie. D’où le chai à barriques construit dans la nouvelle cave de Perroy où seront vinifiées leurs deux vendanges dès cet automne. (Grande photo ci-dessus: Clémence et Maxime Sother, entourant leur directeur technique Pierre-Olivier Dion-Labrie.)
Le projet. Maxime Sother a découvert que les tonneliers français se procurent du bois partout en Europe, dont en Suisse. C’est ainsi qu’est née l’idée de développer une tonnellerie au Manoir, utilisant du bois local, pour les besoins du domaine d’abord mais aussi pour d’autres clients intéressés. «On parle toujours plus de terroir, de proximité. Élever dans du bois suisse boucle la boucle, non?» promet le jeune entrepreneur. Qui empoigne ses projets avec une belle ambition, de la cave de Perroy à la reconversion bio ou à la vitiforesterie, désormais réalité.
Le bois. Dès la fin 2020, le directeur technique a misé sur du bois de chêne de qualité, de Genève jusqu’en Argovie, en passant par le Jura ou Neuchâtel. «Le chêne suisse a poussé lentement, il donne des grains de bois très fin, des fûts très droits, et ses divers terroirs amènent des parfums différents que nous allons commencer à découvrir.» Ces 500 m3 de bois sont confiés à un merrandier de Champagnol (F), spécialisé dans la fente des troncs pour en faire des merrains, qui ont séché à l’air et à la pluie pendant deux ans au Manoir. «On ne récupère que 20% du bois brut, des morceaux qui doivent être parfaits», explique Maxime Sother. Le reste est revendu pour de la charpente, par exemple.
La tonnellerie. Les Sother ont rénové une aile du bâtiment pour y installer des machines achetées d’occasion. C’est ici que travaille Rémy Merlier, tonnelier français, compagnon du Devoir, emballé par le projet. Sa première barrique bourguignone, 225 l, est sortie fin juin. Contrairement à d’autres tonneliers suisses, l’atelier ne produira que ce type de contenant, pas de bordelaise, ni de grands foudres. L’objectif est d’arriver à un maximum de 1000 fûts par année. «Au-delà, nous ne serions plus dans une production artisanale.»
La production. Rémy Merlier taille donc des douelles dans ces merrains pour les assembler dans les cercles du tonneau, selon la technique ancestrale. Sa patte se ressent ensuite dans la chauffe de la barrique, le bousinage, qui vont révéler et intensifier les arômes du bois. «Celui-là, il sent le sirop d’érable», s’extasie le Canadien Pierre-Olivier Dion-Labrie en humant un fût. «Là, on a un peu de girofle.» Avec cette tonnellerie au Manoir, l’œnologue va pouvoir expérimenter directement et trouver ce qui conviendra le mieux à ses rouges qu’il veut monter en gamme.
Les commandes. Des clients se sont déjà annoncés à la tonnellerie. «En commandant en France, on a peut-être droit à une visite avant de choisir sur catalogue. Là, le vigneron pourra discuter directement avec Rémy, choisir ce qu’il veut, assister au bousinage, même. Comme il pourra savoir exactement d’où vient son bois, puisque nous avons une traçabilité précise de chacun de nos merrains.» Le marché suisse de la barrique est estimé à 9000 pièces par année. «Si nous arrivons à prendre 10% de ce chiffre, ce sera magnifique, non?» sourit Maxime Sother.