Texte: David Moginier Photos: DR
VIGNERON VOYAGEUR. «C’est vrai qu’on me voit souvent passer dans les chemins avec une citerne pour transporter mes jus.» Vincent Graenicher en rit. Il cultive trois domaines très proches entre Tartegnin et Mont-sur-Rolle, vinifie et élève ses vins dans les trois lieux, mais le pressoir à blanc est dans l’un, le pressoir à rouge et la cuvaison dans un autre, la mise en bouteilles dans l’un, les barriques dans deux. «Ce serait plus simple si j’avais une cave suffisamment grande pour tout accueillir ici», poursuit-il dans le domaine familial de Penloup, sur les hauteurs de Tartegnin, «pays du bon vin», dont la vue sur le Léman incite à la rêverie ceux qu’il reçoit pour déguster.
TROIS PROFILS. Penloup et ses 3,2 ha, c’est le domaine que son père Hans-Ruedi a monté depuis 1983, après qu’il eut commencé à exploiter Es Cordelières, à Mont-sur-Rolle, en 1967 (3,3 ha d’un seul tenant). Vincent, lui, a repris le Domaine de Famolens (4,5 ha) en 2020. Le quadragénaire essaie de communiquer sur son nom, mais les domaines ont aussi leur notoriété et leur style. Cordelières, c’est un grand cru de Mont-sur-Rolle, un chasselas élégant et un pinot noir barrique. Penloup, des vins plus modernes, mais toujours dans cette volonté de buvabilité et de plaisir. Famolens, un chasselas et un merlot vendus en exclusivité par deux revendeurs. «C’est intéressant d’avoir des terroirs différents qui me permettent, par exemple, d’avoir cinq versions de chasselas.»
LE GOÛT DU BIO. Vincent Graenicher a eu la révélation du bio par la dégustation. «C’est vraiment en buvant des vins produits de manière biologique que j’ai aimé ce goût, cette expression. Je me suis converti par le palais.» Une conversion entamée avec patience et sérénité il y a une dizaine d’années pour finalement être labellisé en 2021. «Je sens dans mes vins une belle énergie venue d’un sol plus riche et résistant. En 2021, année difficile, mes anciennes vignes n’ont pas eu de gros soucis alors que Famolens que je venais de convertir a eu davantage de peine à résister aux maladies.»
L’ENVIE D’INNOVER. Le vigneron a «une obsession pour la fraîcheur et la pureté. Je vendange tôt, quitte à retrouver une légère saveur végétale dans mes vins.» Et il sort des cuvées particulières dans le même esprit. Comme A l’Origine, un chasselas parcellaire vinifié en levures naturelles (un pied de cuve), sans additif autre que du souffre à la mise en bouteilles, non filtré, non collé. Un profil tendu, minéral, floral, pour un vin de plaisir. «On peut finir la bouteille à deux sans souci.»
LA DÉCOUVERTE DES AMPHORES. En dégustant des vins du Valaisan Yvan Roduit, il a apprécié l’élevage en amphore. «J’en ai acheté plusieurs et c’est magnifique.» Il a ainsi sélectionné des vieilles vignes d’Es Cordelières pour en vinifier le jus là aussi sans intrant, avant de l’élever en cuve et en amphores. Un vin fait pour la garde, pour défier les 20 prochaines années avec sa mâche et sa fraîcheur, sa belle minéralité et son expressivité. Il a fait de même avec un gamay parcellaire, sévèrement limité à la vigne, cuvé avec un tiers de grappes entières, avant huit mois en amphores. Une bouche concentrée, délicate, des fruits rouges, des épices.
CHASSELAS NATURE. Toujours pour se faire plaisir à côté de ses best-sellers, le voilà qui se lance dans un vin nature. «Un chasselas, pour ne pas faire comme tout le monde.» Avec les conseils du Vulliérain Christian Vessaz, il fait macérer ses raisins de chasselas quatre jours avant le pressurage, puis une fermentation naturelle très rapide et un élevage sur bourbes et lies, plusieurs soutirages. C’est tendu, puissant, avec une petite astringence finale, pour accompagner des fromages de caractère ou un plat asiatique. «C’est un vin qu’il faut expliquer, faire goûter, et en vendre quelques centaines. Mais c’est fun.»
VIN DE COMPLANTATION. Jamais à court d’idées, Vincent Graenicher a adoré les vins de complantation de Veronica Ortega, dans le Bierzo espagnol, qui complante des cépages rouges avec quelques cépages blancs, avant d’en faire un unique vin. Il en goûte d’autres élaborés selon les mêmes principes, des vins légers, délicats, digestes, aux tanins un peu dilués. Ni une ni deux, il complante une de ses parcelles de Tartegnin selon les mêmes principes, avec des cépages qui peuvent être vendangés à la même époque, 85% de rouge (gamaret et garanoir), 15% de blanc (chasselas et doral). «On verra ce que ça donne dans quatre ans.»
EN CAVE: cinq chasselas, un pinot blanc, un chardonnay et un assemblage blanc. Un rosé. Deux pinots noirs, un merlot, un gamay et un assemblage.
3 RESTAURANTS GAULT&MILLAU QUI PROPOSENT SES VINS: le Njørden à Aubonne (16/20), Du Chasseur à Allaman (14/20), le Pérolles à Fribourg (16/20).