Texte: Daniel Böniger
DES VIGNES CULTIVÉES EN BIO DEPUIS 25 ANS. Ce qu'on voit d'abord, c'est une vaste prairie, peut-être la plus belle de la commune d'Erlenbach, près du lac de Zurich. Actuellement, elle est couverte de marguerites, de trèfles et de boutons d'or. Une prairie que chérit particulièrement Markus Weber, et plus encore au printemps, quand toutes les fleurs sentent si bon. Il en est d'autant plus fier qu'il n'y a planté aucune graine, il a juste épandu un peu de foin, et la nature s'est chargée du reste. Pour ses raisins, qui jouxtent cette magnifique prairie, c'est une autre affaire, avoue le vigneron de 57 ans. C'est que la vigne demande nettement plus de travail que la prairie, même si elle est cultivée en bio depuis maintenant 25 ans. Dans ce parchet, on trouve du pinot noir, du riesling-silvaner, mais aussi du calardis blanc, une variété résistante aux champignons, dont Markus Weber tire un magnifique vin mousseux.
LE VIN ORANGE POUR ATTIRER UNE NOUVELLE CLIENTÈLE. Responsable du domaine Turmgut, Markus Weber doit jongler avec plusieurs parcelles dispersées le long de la Goldküste, à Meilen, Herrliberg, Küsnacht et Erlenbach, tous avec une vue imprenable sur le lac de Zurich. Une région, où, traditionnellement, poussent des cépages blancs comme le räuschling ou le riesling-silvaner, sans oublier, pour les vins rouges, le pinot noir. «Ces variétés continuent de représenter l'essentiel de ma production, explique le vigneron zurichois, mais les amateurs qui venaient une fois par an pour remplir leur cave se font rares». Alors, comme de nombreux viticulteurs en Suisse, il a élargi son assortiment ces dernières années et mise également aujourd’hui sur d'autres variétés de raisin et de nouveaux styles de vin. Ce qui lui a permis de toucher de nouveaux types de clients, avec son vin orange, ses mousseux et quelques autres productions inhabituelles pour la région, comme le sauvignon blanc, qu'il vendange en deux fois, afin de concentrer les arômes fruités dans la bouteille, ou la syrah, qu'il propose en monocépage, et qui lui rappelle un stage de six mois qu'il a fait jadis en Australie.
LES RESTAURANTS BRANCHÉS ZURICHOIS AIMENT LA NOUVEAUTÉ. Au fait, qui sont les amateurs de ce vin orange, à l'étiquette pétante? Au fil de la discussion, nous sommes arrivés dans un autre des parchets de Turmgut, juste en dessous de la tour de 1648, qui a donné son nom au domaine. Pour Markus Weber, la réponse est claire, presque tous habitent la ville de Zurich, que l'on voit au loin. On trouve en effet ce vin sur la carte de restaurant branchés comme le Rank ou le Zur Goldige Guttere, ainsi que sur les étagères de plusieurs magasins bio. Et les mousseux? «Je mets en avant le caractère régional de mon crémant, en expliquant bien qu'il ne faut pas le mesurer aux meilleurs champagnes. Cela plaît à mes clients, qui le prennent d'ailleurs souvent pour un Prosecco, et qui en rajoutent quelques bouteilles à leur commande.»
MIEUX FAMILIARISER LES CLIENTS AUX NOUVELLES VARIÉTÉS. Au final, son vin orange est devenu très populaire. Aujourd'hui, il représente environ 15 % des ventes. Quant au mousseux, il permet à Markus Weber d'utiliser des variétés de vignes résistantes aux champignons. Ces Piwis on l'avantage de devoir être nettement moins pulvérisés, ce qui facilite l'exploitation, qui n'est pas ici des plus aisées, avec des vignobles dispersés sur plusieurs sites différents. Le problème, c'est que la clientèle n'est pas encore très familiarisée avec ces nouvelles variétés, comme le cabernet Jura ou le calardis.
SA BOMBE TANNIQUE CONSERVE SES ADEPTES. D'accord, le rosé et les vins mousseux sont de plus en plus populaires. D'ailleurs, d'une manière générale, tous les vins faciles à boire ont le vent en poupe. Mais cela veut-il pour autant dire que les bombes tanniques, vieillies en barriques, n'ont plus la côte? «Ce n'est pas tout à fait ce que disent les cartes des vins de nombreux grands restaurants», analyse Markus Weber. Et comme il ne veut pas perdre cette catégorie particulière de clients, celle qui aime les vins puissants, il leur propose un assemblage de merlot et de différentes sortes de cabernet. Un vin exclusivement élevé dans des barriques neuves, à l'intérieur presque brûlé, «ce qui donne un goût très particulier, presque comme si le vin avait été en contact avec du charbon.»
TOUT SON CŒUR DANS CHAQUE BOUTEILLE. Et lui-même, quels sont les crus qu'il préfère? Plutôt les grands classiques du lac de Zurich comme le pinot noir, fruité, ou le räuschling, rafraîchissant? Ou plutôt toutes ces variétés inhabituelles, qui, quand il a commencé son activité de viticulteur, il y a 30 ans, ne pouvaient même pas être plantées sur ces parchets? Markus Weber hésite. C'est comme si on demandait à un père quel est son enfant préféré. «Je mets tout mon cœur dans chacune de mes bouteilles! Et puis, de toute manière, ce n'est pas à moi de décider, mais au client, selon ce qu'il veut boire».
Photos: Salvatore Vinci
Plus de bio dans le verre!
Un vignoble vivant planté de vignes vigoureuses autant que résistantes: voilà un excellent pré-requis pour élaborer des vins «Bourgeon». En Suisse, ils sont d'ores et déjà plus de 580 viticulteurs et viticultrices à produire des vins bio. Ils renoncent aux produits phytosanitaires chimiques de synthèse et aux engrais artificiels. Ces viticulteurs de haut niveau jouent la carte du bio et de la biodynamie avec succès.