Photos: Olivia Pulver
Le premier vin suisse de l'année. Mercredi 15 janvier 2025 fut une journée particulière pour Elodie Kuntzer. La viticultrice du Domaine Saint-Sébaste, à Saint-Blaise (NE), y a présenté le dernier millésime de son chasselas non-filtré. Traditionnellement, et depuis 50 ans tout pile, ce vin est présenté chaque troisième mercredi de janvier. Produite par près de 40 exploitations viticoles dans le canton, cette spécialité neuchâteloise est ainsi toujours le premier vin suisse de l'année! Pour fêter ce chasselas exceptionnel et remarquablement trouble, la branche viticole cantonale s'est donné rendez-vous l'après-midi à La Chaux-de-Fonds.
Lié à Neuchâtel. Elodie Kuntzer est-elle nerveuse? «Pas vraiment», répond la viticultrice. Elle était plus stressée avant Noël, car elle voulait mettre le vin en bouteille avant la fin de l'année - il fallait d'abord que le sucre fermente en alcool, puisque la fermentation malolactique soit terminée. Ceux qui, comme elle, travaillent en biodynamie et laissent ces processus se dérouler spontanément, sont parfois un peu inquiets. «Mais maintenant, je suis simplement curieuse de voir ce que les collègues et les clients vont trouver». Le non-filtré, il faut le savoir, est principalement consommé dans le canton de Neuchâtel. Tout juste 13% vont en Suisse alémanique, 14% dans le reste de la Suisse romande, et seulement 1% au Tessin. Comme le dit Elodie Kuntzer: «On l'aime ou on le déteste - entre les deux, il n'y a rien».
Potentiel de vieillissement. Le non-filtré serait peut-être plus apprécié si l'on ne répétait pas que les bouteilles doivent être bues avant l'été suivant la récolte. Une dégustation à l'aveugle au restaurant zurichois Lotti, sous la direction du gastronome René Zimmermann, de deux 2019 et d'un 2023 de la Maison Carrée à Auvernier a récemment montré que les millésimes plus anciens sont certes «un peu plus discrets», mais beaucoup plus élégants et plus ronds. «Il est bien possible, constate Elodie Kuntzer, que le dépôt de levures dans la bouteille ralentisse la maturation».
Des origines floues. La légende veut que le tout premier non-filtré ait également été mis en bouteille à Auvernier. Comme la récolte de l'année précédente avait été plutôt modeste et que les réserves touchaient à leur fin, le vigneron Henri-Alexandre Godet aurait ouvert une de ses cuves de chasselas de 1974 avant la date habituelle et servi le vin non filtré. Pour le plus grand plaisir des amateurs qui se seraient retrouvés dans l'agréable pinte La Golée du village! La taverne existe encore aujourd'hui, beaucoup ont encore connu le vigneron Godet - et il était incontestablement un pionnier de ce produit hors du commun. Toutefois, il existe aussi des preuves de variantes plus anciennes de vin non filtré consommé dans la région.
Souvenirs de grand-père. Elodie Kuntzer se renseigne brièvement auprès de son grand-père Jean-Claude, 92 ans, qui a fondé le domaine de Saint-Sébaste en 1954. Celui-ci parle d'un vin appelé Bourru, qui était déjà mis en bouteille non filtré dans la région avant les années 1960 - mais sans fermentation malolactique et enrichi de sucre. Il a ensuite commencé à vendre un vin trouble vers 1966, «mais bien sûr sans ajout de sucre, avec une deuxième fermentation».
«Identité neuchâteloise». Quoi qu'il en soit, il faut célébrer! Et c'est donc dans l'après-midi que les vignerons se retrouvent dans les anciens abattoirs de La Chaux-de-Fonds pour célébrer le 50ᵉ non-filtré officiel. Cette année, il est d'ailleurs exceptionnellement disponible en magnum! Nicolas Joss, directeur de Swiss Wine Promotion, était présent à la manifestation. Il constate que la spécialité est sans aucun doute devenue «une partie de l'identité du vin neuchâtelois». Et toutes les personnes présentes sont d'accord sur ce point.
Notes exotiques. Le grand-père d'Elodie, Jean-Claude, et son père, Jean-Pierre, sont également présents à la fête. Après les discours, les Kuntzer se tiennent à trois derrière leur table de dégustation. Ils secouent le non-filtré - c'est l'usage, «pour que le dernier verre de la bouteille soit aussi trouble que le premier» - et en servent des échantillons. Quel est le goût du 2024, issu d'une année difficile et plutôt fraîche, avec beaucoup de précipitations et relativement peu de soleil? Très frais, avec des notes de citron et de citron vert, de fruits exotiques et d'écorce de clémentine. En bouche, l'acidité est ferme, le vin est crémeux et structuré. On y décèle même un soupçon d'ananas! Un apéritif parfait, mais aussi un compagnon pour le fromage et le poisson. Il ne reste plus qu'à lever son verre et à lui souhaiter un joyeux cinquantenaire!