Texte: David Moginier | Photos: DR
L’art du vin. Ce sont deux démarches différentes du côté de Vevey, l’une pour sauver une cuvée miraculée, l’autre pour élaborer un vin d’artistes. Mais les deux partagent les mêmes valeurs: des tirages très limités, des étiquettes uniques, et des prix élevés pour des chasselas de la région. Heureusement pour les créateurs, les tarifs des vins d’exception, même dans le canton de Vaud, ne font plus peur à un cercle d’amateurs. La preuve avec cette cuvée des Murailles de Badoux vinifée en globes de verre dans une cavité du domaine ; les 950 bouteilles de ce Murmure sont à 79 fr.
(Grande photo ci-dessus: L'équipe du collectif Anima)
Haut de Pierre tombée. A Lavaux, le millésime 2021 a été une vraie gageure pour les vignerons, avec une météo épouvantable qui a vu se succéder des épisodes de gel intense, des pluies abondantes et de la grêle. A Epesses, Blaise Duboux l’a durement vécu, lui qui cultive en bio, peu armé face au mildiou. Il a vu, en plus, comme si cela ne suffisait pas, un de ses murs de pierre s’écrouler dans le Dézaley, sans doute miné par les eaux.
Blaise Duboux cultive ses vignes en biodynamie afin de rester le plus proche possible de la nature.
Récolte d’exception. Sa vendange, dès lors, a été faible en qualité. Mais elle s’est révélée de très belle qualité dans cette parcelle Haut de Pierre, fleuron du domaine. De quoi faire 600 bouteilles seulement, contre les 4000 des millésimes cléments. Blaise Duboux ne se laisse pas abattre et décide d’une vinification et d’un élevage inhabituels. Les moûts ont donc été entonnés, après pressurage et débourbage, dans des fûts de 300 litres âgés de 6 ans. Ils y ont fait leurs deux fermentations, alcoolique et malolactique, sans bâtonnage, et soutirés deux fois pendant les dix-huit mois d’élevage.
Étiquette unique. Pour habiller tout ça, le vigneron a fait appel au peintre nyonnais Bernard Garo. Ce dernier confronte depuis longtemps son art confronté aux défis environnementaux. Le choix de ce peintre, plasticien et photographe était donc tout à fait logique. Il a ainsi réalisé une œuvre originale pour l’étiquette de ce Haut de Pierre unique. Le vin est vendu 121 fr. la bouteille, ou en coffret de 3 ou 6 bouteilles, accompagnés de reproductions en série limitée de l’œuvre.
Quand expérimentation artistique et œnologique se rencontrent... Un bel exemple avec l'étiquette de cette parcelle Haut de Pierre.
Un vin collectif. L’autre projet réunit une équipe d’une dizaine de passionnés, principalement des artistes veveysans actifs dans la musique, le graphisme, ou la photographie. Ensemble, ils voulaient créer un chasselas hors norme, à déguster en conjuguant plusieurs expériences artistiques. Avec l’aide des œonologues Richard Pfister (par ailleurs parfumeur) et Léonard Pfister (actif chez Obrist), ils ont lancé Anima, un chasselas qui sera différent chaque année.
Millésime difficile. Comme Blaise Duboux, ils se sont confrontés à cette délicate année 2021, où ils ont acheté 700 kg de raisins sur les hauts de Riex. Les deux œnologues ont divisé la vendange en deux, à laquelle ils ont appliqué deux vinifications extrêmes et extrêmement différentes. La première a subi un pressurage ultradoux pour garantir qualité et acidité, la seconde un pressurage ultrapoussé pour donner un maximum d’extraits secs. Ensuite, le résultat, sur lies, a connu une barrique de chauffe moyenne déjà utilisée avant d’être séparée à nouveau. Le tout pour vingt-deux mois sous bois.
Les artistes travaillant pour le collectif Anima.
Le résultat.
Et l’art dans tout cela? Pendant ce temps, les artistes ont peint deux toiles qui ont été ensuite divisées en 612 étiquettes uniques et différentes, pour chacune des bouteilles ainsi obtenues. Et Laurent Maffli a composé une musique, «Divinium», évoquant le millésime, qu’on écoutera en dégustant ce Déluge 2021, nom de la cuvée, qui changera évidemment chaque année. Une cuvée à l’acidité affirmée, à la complexité étonnante, construite pour défier le temps. Elle est vendue 51 fr.
