Texte: Daniel Böniger
CATHERINE CRUCHON, Y A-T-IL QUELQUE CHOSE QUI POURRAIT VOUS FAIRE RENONCER À LA VITICULTURE BIO?
Pour moi, la seule chose problématique avec le bio, c'est toute la charge administrative. Mais il y a quand même quelques améliorations, puisque, depuis quelque temps, «Demeter» et «bio» ne doivent plus être gérés séparément. (Grande photo ci-dessus: Catherine Cruchon dans le char à barriques.)
QUELS SONT LES ARGUMENTS EN FAVEUR DU BIO?
En 1999, mon père et d'autres viticulteurs comme Marie-Thérèse Chappaz se sont lancés dans la culture biodynamique. Ce n'était d'ailleurs pas, à l’époque, pour des raisons écologiques, mais tout simplement parce que les vins produits en biodynamie, par exemple en Bourgogne, leur plaisaient davantage. Ils suscitaient davantage d'émotions chez eux. Ce n'est que plus tard que nous avons réalisé que les vignobles profitaient également de la méthode et avaient l'air plus sains. Sans oublier qu'il s'agit aussi de protéger la santé des viticulteurs.
AUTANT DE RAISONS PARFAITEMENT VALABLES.
Le bio n'est pas nouveau. Il ne faut pas oublier que les engrais, les pesticides et les herbicides ne sont apparus dans la viticulture qu'au 20e siècle. Les premiers représentants du glyphosate, utilisé pour lutter contre les mauvaises herbes, buvaient encore leur produit pour démontrer à la clientèle qu'il était inoffensif. Je ne sais pas s’ils sont toujours en bonne santé aujourd’hui. (rires.)
POURQUOI N'ARRIVONS-NOUS PAS EN SUISSE À FAIRE PASSER TOUTE LA VITICULTURE AU BIO?
Souvent, c'est pour des raisons financières. Par exemple, ceux qui ont des parcelles en pente ne veulent pas devoir désherber à la main. Et si le temps se gâte, il faut pouvoir pulvériser toute la vigne en un seul jour avec les produits autorisés, sinon on perd une grande partie de la récolte. De tels coûts ne peuvent pas être répercutés sur les consommateurs.
LE BIO N'EST-IL PAS UN ARGUMENT DE VENTE FORT POUR LE VIN?
Le porte-monnaie est souvent plus fort, du moins au supermarché. Je connais des viticulteurs en Suisse romande qui livrent à de grandes maisons de vins et qui aimeraient bien se convertir. Mais comme ils ne peuvent pas obtenir un prix plus élevé au kilo, ils ne franchissent pas le pas. Quoi qu'il en soit, les choses évoluent. Par exemple, on n'entend plus la rumeur médisante selon laquelle les vins bios ont moins bon goût. La réputation du label bio s'est nettement améliorée. Et c'est justement ce genre de vin que recherche la clientèle de notre domaine.
VOUS ALLEZ ENCORE PLUS LOIN AVEC LE LABEL DEMETER. POUVEZ-VOUS EXPLIQUER BRIÈVEMENT QUELLE EST LA DIFFÉRENCE AVEC LE BIO?
Dans le vignoble, on ne remarque presque plus de différence au niveau réglementaire. On utilise moins de cuivre et on utilise - si on le souhaite - les préparations 500 et 501.
C'EST-À-DIRE?
C'est le nom que l'on donne aux cornes contenant respectivement de la bouse de vache et de la silice de corne, que l'on enterre dans les parcelles. Ceux qui exploitent une ferme avec des cultures doivent en outre y élever des animaux. Il y a une exception pour le vin.
Y A-T-IL AUSSI DES DIFFÉRENCES DANS LES CAVES?
Là, c'est un peu plus exigeant. Parce que la biodynamie n'autorise que l'utilisation de levures naturelles. Parce que les enzymes, les liants et certains agents de filtration ne sont pas autorisés. Pour résumer, un vin conventionnel peut contenir environ 80 additifs, un vin bio peut-être 30, une quinzaine seulement chez Demeter, et aucun dans un vin naturel. Mais, outre les règlements, la philosophie est également déterminante.
QU'ENTENDEZ-VOUS PAR PHILOSOPHIE?
Le bio est encore proche de la pensée conventionnelle. Si une maladie apparaît dans le vignoble, elle est combattue avec des produits correspondants, mais certifiés bio. En biodynamie, on travaille au contraire en amont, à renforcer les défenses immunitaires des vignes, pour que les maladies n'apparaissent pas. On utilise alors des choses comme le calendrier lunaire, des tisanes et d'autres préparations, ce qui rappelle un peu l'homéopathie. Et bien sûr, le sol est important, puisqu’il est considéré comme une structure complexe qui s'est formée au fil des années. Les champignons, les insectes et les plantes y jouent tous leur rôle, on y intervient le moins possible.
EST-CE QUE CETTE PENSÉE S'APPLIQUE ÉGALEMENT À LA CAVE?
Oui, il s'agit essentiellement d'extraire le potentiel qui se trouve déjà dans les raisins. La devise est simple: ce sont ces raisins qui font le vin, pas l'œnologue.
Y A-T-IL DES CÉPAGES QUI SE PRÊTENT PARTICULIÈREMENT BIEN AU BIO?
Ce qui me vient à l'esprit, c'est plutôt un cépage qui s'est avéré difficile à cultiver en bio. Le gamaret, du moins ici dans le canton de Vaud, pousse mieux avec de l'engrais que sans.
ET LE CHASSELAS, C'EST UNE VARIÉTÉ QUI AIME LE BIO?
Si l'on s'éloigne de la culture traditionnelle, les grains de pratiquement toutes les variétés de raisin deviennent plus petits, avec des peaux plus épaisses. C'est aussi le cas du chasselas, sachant que cela ne diminue pas la qualité de ce raisin. De plus, cette variété s'accommode plutôt bien des températures de plus en plus chaudes. Il a toutefois besoin de beaucoup d'eau.
VOUS CULTIVEZ EN PARTIE VOS CHASSELAS SÉPARÉMENT. POURQUOI?
Le chasselas est un vin de terroir! Il réagit fortement à la nature du sol. Le rayonnement solaire et les influences météorologiques se manifestent également dans le produit final. Et c'est ainsi que naissent des vins qui, bien qu'issus du même cépage, se distinguent nettement les uns des autres. J'ai beaucoup de clients qui ont trouvé leur terroir préféré et qui le reconnaissent dans la structure du vin. Et ce, année après année.
VOUS SEMBLEZ VRAIMENT AIMER CE CÉPAGE.
Le chasselas a peu d'alcool, peu d'acidité, peu d'arômes, contrairement à d'autres variétés blanches qui, en règle générale, présentent des valeurs élevées pour au moins deux de ces paramètres. Mais si l'on aborde le chasselas avec autant d'ambition que le chardonnay, on peut produire de grands vins. Le chasselas devient alors fin, élégant et rafraîchissant comme peu d'autres vins.
MAIS COMMENT ENTHOUSIASMER LES JEUNES AMATEURS AVEC CE CÉPAGE?
Il existe différentes méthodes pour rendre le chasselas plus populaire. D’abord, il faut faire connaître sa magie. On peut, par exemple, proposer des vins pet-nat. L'élevage en barrique est également possible. On peut aussi renoncer à la BSA. Il serait en tout cas dommage de simplement arracher les ceps avant d'avoir essayé de nouvelles voies.
AJOUTER UN AUTRE VIN À VOTRE ASSORTIMENT? CHEZ VOUS, IL Y A DÉJÀ PLUS DE 30 ÉTIQUETTES!
Il y a encore de la place, après tout, nous avons 34 hectares! (rires.) Mais sérieusement: ces dernières années, nous avons réduit notre assortiment de quelques bouteilles, par exemple pour les vins rosés.
C'EST DIFFICILE DE CONVAINCRE VOTRE FAMILLE QUAND VOUS PRENEZ DE TELLES DÉCISIONS?
Mon grand-père laissait déjà faire la génération de mon père et de mon oncle. Pour qu'ils y trouvent leur compte. Et c'est ainsi que les choses continuent maintenant que mes cousines, mon épouse et moi sommes aux commandes. Cela fait partie de la tradition de notre domaine viticole que d'être ouvert à la nouveauté et aux expérimentations.
Le Domaine Henri Cruchon a été fondé en 1976 par le grand-père de Catherine Cruchon, Henri. Une icône de la viticulture Suisse, selon le GaultMillau. Le domaine viticole vaudois - qui compte au total plus de 30 hectares dans la région de Morges - est l'un des plus grands du pays. L'œnologue Catherine Cruchon poursuit la voie tracée par son père, considéré dans notre pays comme un pionnier de la viticulture biodynamique.
Photos: Hans-Peter Siffert