Texte: David Moginier Photos: Blaise Kormann
Signé Wannaz. Les cuves des Gilles Wannaz accueillent les premières grappes provenant de ses 4,5 hectares de vignes entre Lutry, Epesses, Saint-Saphorin et Dézaley. Juste à côté, dans l’odeur du vin qui fermente, le vigneron s’affaire dans sa vaste cuisine. Là, il enroule – autour de fleurs de capucines juste assaisonnées d’huile d’olive et de fleur de sel – des feuilles de la même plante dont la tige servira d’attache. «Avec ces feuilles, je n’utilise plus jamais de roquette.» Ce petit amuse-bouche résume toute la poésie du vigneron-cuisinier, qui s’est levé à 4 heures du matin pour cueillir tomates et autres plantes dont il va régaler ce midi l’équipe de service du restaurant Anne-Sophie Pic Beau-Rivage Lausanne. Utiliser des ingrédients qui poussent devant sa maison de Chenaux, avec une vue cinématographique sur le lac Léman et les Alpes. Pousser un peu les limites des cultures culinaires en racontant une histoire simple et colorée pour un retour aux sources joliment modernisé. Faire coïncider son amour pour le vin d’auteur et sa passion pour une cuisine tout aussi naturelle. Telle est l’ambition du vigneron. De son côté, quand le jeune chef sommelier du Beau-Rivage, Johan Strazzeri, a découvert les vins que son prédécesseur Edmond Gasser avait mis à la carte, il est venu visiter la cave de Chenaux. «On aime bien ses vins et sa philosophie qui s’accorde bien à la cuisine d’Anne-Sophie Pic. Et il a une personnalité forte… comme la cheffe.»
La brigade de Pic à la vigne. Conquis par le producteur, Johan Strazzeri lui a proposé que la brigade de service vienne vendanger l’automne venu. Ils étaient donc une dizaine, ce lundi du Jeûne, à couper les grappes à Crêt-de-Plan, à Lutry, en compagnie de l’équipe de vendangeurs. Pour Diane Blanch, la directrice du restaurant, le sécateur à la main et le sourire aux lèvres, «c’est une bonne occasion que l’équipe se retrouve ensemble un jour de congé, au grand air». Mais ce n’est pas tout. Après la première pause des 10 heures, le vigneron avait prévu un pique-nique dans les vignes. Un pique-nique façon Wannaz, avec une mise en scène simple et colorée, une grande planche décorée de vigne vierge où s’égaillaient tranches de saucisson ou de basse-côte de bœuf cuite quinze heures à basse température, châtaignes juste sorties du four, tomates du jardin, feuilles de vignes du domaine cuites dans le verjus, bourgeons de vigne lactofermentés, sans oublier le dessert.
Une cuisine qui rapporte. «La cuisine finance ma biodynamie», explique le vigneron à ses invités d’un jour, «elle me met en position de cultiver la nature comme je veux le faire. Et, de cette nature, je fais des décorations florales, des architectures de plats, j’utilise toutes les propriétés des plantes, y compris les propriétés mécaniques dans mes mises en scène». Ainsi, avec une cinquantaine d’événements par année, soit dans sa cave adaptée, soit dans d’autres endroits, les repas de Gilles Wannaz ne sont plus un loisir, depuis plus de vingt ans. Même en pleine vendanges, il va accueillir un enterrement le lendemain. Il a cuisiné autour des concerts de Stephan Eicher sur le radeau planté devant sa maison, ou concocté des röstis pour 800 personnes sur scène pour le même artiste. «Et j’ai réussi à les retourner en direct… ». Il tenait son espace à la Fête des Vignerons. Son record, monter un «miam», comme il appelle ses buffets, de 3 mètres de haut dans l’entrée du Musée Arlaud, à Lausanne. «Je fais la cuisine de ma mère et la vigne de mon père», lâche-t-il dans une de ses joyeuses formules. «Nous autres, agriculteurs de la campagne, devons nous rappeler que l’essentiel de notre public vit en ville, il faut lui offrir ce qu’il attend et ce qu’il imagine», poursuit-il.
Les vins bodybuildés n’ont plus la cote. Pour le vigneron original qui peinait à convaincre il y a plus de trente ans, «la cuisine m’a permis d’ouvrir l’esprit des gens à de nouvelles choses. Avec le métissage qu’on a connu, le public était davantage prêt à des nouveautés culinaires que vineuses.» Depuis vingt ans, il ne cesse d’essayer, il réfléchit à ses deux métiers qui se nourrissent l’un l’autre. Et c’est en cuisinant qu’il a élargi le champ du possible du vigneron. «Heureusement, le monde change et le type de vins que je crée rencontre aujourd’hui son public. Plus de fraîcheur, plus d’expression du terroir rendu possible par la biodynamie, les vins bodybuildés n’ont plus la cote.» Cette vigne qui le nourrit se retrouve au centre de ses assiettes aussi. Des bourgeons qu’il retire pour limiter la production, il fait mille choses: fermentés et séchés, ils donnent une tisane qui est son «vin sans vin»; cuits en tempura, ils révèlent leur goût de raisin; traités en lactofermentation, ils remplacent les cornichons dont ils ont le goût acide; sautés comme de petites asperges, ils révèlent leur côté floral. Les pépins de raisins séchés deviennent un ersatz au poivre. Les sarments sont cuits comme une raisinée. Les feuilles de vigne deviennent… des feuilles de vignes aux légumes du coin. «Je fais aussi des Wine&Dine où les convives mangent avec les doigts, ça plaît beaucoup.»
Mais dans l’immédiat, le voilà qui offre aux vignerons d’un jour sa tarte aux pommes, en servant à côté les trognons des fruits épépinés puis cuits dans un caramel au rhum. On le confirme, c’est délicieux.
Agenda. Chez Wannaz, les Jeudis Vins permettent de déguster tout en mangeant un «miam» du patron toutes les semaines de 17 à 21 h. Réservation obligatoire.