Texte et photos: David Moginier

Croisière historique. L’autre jour, la barque à voiles latines «La Vaudoise» emmenait une ambassade du servagnin en Savoie, une croisière destinée à replanter au Château de Ripailles quelques pieds de ce cépage. Un hommage puisque c’est le Duché qui l’avait offert au bourg de Saint-Prex en 1420. L’histoire dit qu’en effet Marie de Bourgogne, épouse du duc de Savoie, vint se réfugier dans la cité (pas encore vaudoise) pour échapper à la peste, et qu’elle apporta avec elle des plants de son pinot noir bourguignon, les premiers à être plantés dans notre pays. Ses descendants, au XXe siècle, ont failli disparaître devant des clones plus productifs. Voici les raisons de l’aimer.
(Grande photo ci-dessus: une sélection de bouteilles de servagnin, identiques pour tous les vignerons, à l'exception du logo des caves situé en bas)

 

C’est un rescapé. Qu’importe si elle est vraie ou non, l’histoire du servagnin est belle et poétique. Elle raconte le voyage des cépages, l’amour du pays lémanique, la noblesse bourguignonne et savoyarde, le sauvetage inespéré, le culte des racines et du terroir. C’est quand même plus romantique que de savoir que tel ou tel clone est sorti des laboratoires de Changins, non? Savoir qu’un pépiniériste, Pierre-Alain Tardy, a retrouvé ce cépage dans les années 1970 chez Werner Kaiser, à Saint-Prex, où il ne restait qu’un seul et unique plant vivant de celui que les archives appellent aussi salvagnin de Saint-Prex, sauvagnin ou servignier. Qu’il l’a patiemment multiplié jusqu’à obtenir une première récolte en 1984. Que l’association des Vins de Morges l’a protégé dès 1996 par une charte de qualité. Même si ce n’est pas génétiquement prouvé, c’est beau, non?

Voici pourquoi vous allez aimer le servagnin

La cérémonie s'est déroulée en plein air à Thonon. À gauche, Raoul Cruchon prononce son discours aux côtés de la châtelaine du Château de Ripailles, Paule Necker.

Servagnin largeur OK

Symboliquement, une barrique et un plant de servagnin ont été offert aux ambassadeurs de ce cépage en Savoie.

Sa culture est contrôlée. La vingtaine de producteurs de la région morgienne qui en cultive sur sept hectares (au total) doit suivre des critères stricts pour en garantir la qualité. Le rendement est sévèrement limité à 50 hl/ha, soit, à la louche, 700 g de raisin au mètre carré. Des visites de vignes annuelles attestent de la bienfacture de la culture. Les baies doivent afficher en tout cas 82 degrés Œchslé, soit une belle teneur en sucre. Mais attention, c’est un cépage difficile et capricieux, plus aléatoire que les pinots noirs sélectionnés aujourd’hui. «C’est une diva capricieuse, magnifique quand tout va bien, mais vraiment ch… quand ça veut pas, explique Raoul Cruchon, fer de lance de sa relance. Il lui faut un sol argilo-calcaire, l’argile pour le corps, le calcaire pour l’élégance.»

 

Sa vinification est réglementée. Ce raisin doit être vinifié puis élevé seize mois au minimum, dont neuf mois en barriques de chêne. Une commission de professionnels déguste chacun de ces vins avant de lui donner un agrément, et le droit de porter la capsule rouge dans une bouteille unique, sous une étiquette générique (mais avec le nom du producteur). Enfin, sa mise en vente ne peut intervenir qu’au 1er avril de la deuxième année. 

 

Sa dégustation flatte le palais. Bien sûr, chaque millésime et chaque producteur lui donneront un caractère particulier. Mais on retrouve un nez expressif en fruits rouges, cerise, framboise, avec des notes de poivre, des côtés toastés apportés par la barrique. En bouche, l’attaque est souple, les tanins sont plutôt bien enrobés, l’équilibre est agréable entre un beau corps fruité, une fraîcheur légère et une finale épicée. «C’est un vin de sensualité, affirme Raoul Cruchon, avec un petit côté sauvage mais pas rustique.»

 

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