Texte: GaultMillau Suisse
Parent pauvre. Une simple tasse d'eau chaude. Il y a quelques années, le thé était tout sauf associé aux plaisirs de la gastronomie. Même dans les adresses réputées, l'instant thé se résumait bien souvent au strict minimum, une tasse d'eau servie avec un sachet industriel de piètre qualité. «Le thé a longtemps été le parent pauvre des arts de la table», confirme Valérie Peyre, tea master de Chanoyu Tea (en grande photo ci-dessus avec Franck Giovannini). La nourriture, le service, la vaisselle, la décoration… Rien, jusqu'au design sonore, n'est laissé au hasard dans les plus grands restaurants. «Alors pourquoi le thé n'est pas à la hauteur du reste?», s'est un jour demandé l'experte, avant de prendre son bâton de pèlerin pour aller évangéliser les restaurants, en commençant par les plus prestigieux. Depuis, c'est grâce à son travail que le thé a conquis les grands chefs.
Valérie Peyre (à d.) est la tea master de Chanoyu Tea. Elle collabore avec Sarah Stäubli, responsable marketing (à g.).
Passion du goût. Elle n'a pas eu beaucoup de mal à convaincre les chefs de prêter plus grande attention au thé. «Dès qu'on déguste, qu'on parle d'arômes, de polyphénols, de saveurs, on se rend compte que nous avons la même passion du goût», assure Valérie Peyre, selon qui les chefs n'ont pas d'à priori sur la boisson, mais souffrent simplement d'une méconnaissance de ce sujet encore très lié aux cultures asiatiques. Souvent, c'est ce premier contact qui constitue l'étape cruciale. «Une fois qu'on leur a fait connaître le produit, ce sont eux qui rappellent!», sourit la tea master.
Franck Giovannini propose les thés Chanoyu aux clients de Crissier, mais il utilise aussi le thé comme ingrédient.
Le chef aux 19 points a une préférence pour les desserts au thé, par exemple aux fruits rouges.
Giovannini convaincu. Au restaurant de l'Hôtel de Ville de Crissier, Franck Giovannini confirme travailler en exclusivité avec Chanoyu Tea depuis 2021. «Nous avons une carte d'une douzaine de thés, à boire en fin de repas, voire pendant», explique le chef aux 19 points et trois étoiles, qui en utilise également dans certains desserts. Ce printemps par exemple, dans une douceur qui marie rhubarbe et thé aux fruits. Du côté des plats salés, Franck Giovannini se montre plus prudent, tout en précisant que l'on peut utiliser des feuilles de thé comme on utiliserait des épices. Mais gare à la subtilité et la délicatesse du thé, pas faciles à concilier avec n'importe quel plat.
Au Valrose, Josselin Jacquet a choisi une décoction de thé Chanoyu Black Diamond - un thé noir à la poire - pour agrémenter ce dessert à base de prune et de coing.
Pour le chef du Valrose Benoît Carcenat, le thé n'a pas de limite, même avec la chasse, qu'il agrémente d'un thé aux notes de whisky.
«Les plus belles feuilles». Chef du Valrose (18/20) à Rougemont (VD), Benoît Carcenat collabore également étroitement avec Chanoyu Tea. Son credo: la qualité. «Avec Chanoyu, on a les plus belles feuilles», confirme le «Cuisinier de l'année» 2023. Il a commencé par le sucré, avec des thés fruités, avant de découvrir des produits plus exclusifs, tels que le matcha, le sencha ou le sobacha, une infusion aux graines de sarrasin torréfiées.
Du gibier aux langoustines. «Chanoyu propose une gamme si large qu'on peut tout trouver», se réjouit le chef. Lors de la saison de la chasse, il a ainsi associé le gibier avec une infusion aux notes de whisky et d'agrumes (qu'on retrouve aussi au Schloss Schauenstein (19/20) d'Andreas Caminada à Fürstenau, GR), tandis qu'il a pané une langoustine avec une préparation à base de pistache et de thé noir. «Le thé a sa place en cuisine, comme les autres ingrédients», assure-t-il. À condition toutefois de rester juste et dans la légèreté, sous peine de développer des saveurs tanniques ou astringentes. «Il faut respecter le thé, qui est un moment calme et de recueillement. Sinon, on va à contresens», affirme Benoît Carcenat.
Fleur de chocolat grand cru et glace au thé jasmin de Pierre-Alain Rouchon à La Réserve. Le crémeux au chocolat noir 65% est infusé au thé Green Jasmine.
Pour Pierre-Alain Rouchon, le chef pâtissier de La Réserve à Genève, le thé est l'ingrédient qui ne cesse de monter dans le monde de la gastronomie.
Inspiré par un bonbon au thé du Meilleur ouvrier de France pâtissier Franck Fresson, Pierre-Alain Rouchon a proposé sa propre version à La Réserve, avec ce bonbon au chocolat, ganache au thé jasmin et confit de myrtille.
Comme une épice. «Le thé ne fait que monter en puissance dans le monde de la gastronomie», estime Pierre-Alain Rouchon, chef pâtissier de l'hôtel La Réserve, à Genève. Ce dernier évoque une fleur de chocolat grand cru accompagnée d'une glace au thé jasmin, dessert signature du Tsé Fung, le restaurant chinois de l'hôtel (14/20, 1 étoile). «Le thé Green Jasmine se marie à merveille avec le crémeux au chocolat», raconte-t-il. Outre ce plat qui met en lumière ce thé en particulier, le chef dit utiliser certains thés de manière plus discrète, dans des sirops par exemple. «Le thé est comme une épice, c'est un exhausteur de goût», ajoute Pierre-Alain Rouchon. «Avec Chanoyu, les thés deviennent des compositions. On va au-delà de l'earl grey et du jasmin, il y a des fruits, des fleurs: à chaque fois que je goûte, j'ai de nouvelles idées».
Tous les chefs interrogés sont d'accord sur un point: le très large assortiment de Chanoyu Tea (50 références) leur ouvre un immense champ des possibles qui favorise leur créativité.
Davantage de possibilités. Non loin de La Réserve, Quentin Philippe, «Découverte romande de l'année» 2025, travaille également avec les thés Chanoyu. Dans le restaurant genevois Arakel (15/20), le chef s'en tient principalement aux desserts au thé, notamment avec une mangue fraîche coupée en rosace, sorbet clémentine et sirop aromatisé au thé, par ailleurs proposé en théière. «Je trouve plus facile d'utiliser le thé dans les desserts, par exemple le chocolat noir fonctionne très bien avec les thés lactés à l'anglaise», décrit Quentin Philippe, qui précise cependant travailler prochainement sur des plats salés contenant du thé. «Que l'on recherche des saveurs tourbées, fumées, florales, herbacées ou autres: il y a une telle variété chez Chanoyu Tea que cela élargit le champ des possibles. C'est génial!»
«Le chocolat noir fonctionne très bien avec les thés lactés à l'anglaise», confie Quentin Philippe, «Découverte de l'année» 2025 en Suisse romande pour son restaurant Arakel, à Genève.
De nombreux thés sont disponibles pour les particuliers. Certains ont même été spécialement développés pour accompagner les cigares.
Cigare et thés. Le thé va même au-delà de la table. Dans certains établissements, notamment à l'Hôtel de Ville de Crissier, il s'est même fait une place… au fumoir, aux côtés des traditionnels whisky et armagnac. «On réfléchit aux meilleurs thés pour mettre en valeur les cigares», confirme Valérie Peyre, qui a mis à contribution des fumeurs pour mettre au point avec eux les meilleurs thés. Mais la tea master l'assure: elle a beau collaborer avec les plus grands chefs, il n'y a pas besoin d'avoir 18 points pour s'essayer aux joies du thé au restaurant ou même à la maison: «Proposer une carte cohérente, pour servir de bonnes tasses de thé, c'est déjà bien, rassure-t-elle. Le thé, c'est du goût, du plaisir et de la créativité. Ce n'est pas plus compliqué que ça.» Et c'est mieux qu'une tasse d'eau chaude!
>> Entrepreneur et fin gourmet, Jürg Stäubli a fondé les marques de thé Chanoyu et Teabo en 2019. Sa fille Sarah est la responsable marketing et Valérie Peyre, l'expérimentée tea master. Tous les produits sont décrits sur le site web de Chanoyu: en un clic, on peut commander du thé en vrac ou en petits sachets pour les particuliers. Combien de sortes de thés sont-elles proposées? 50! Et de tisanes? Une bonne douzaine, d'origine suisse, pardi. Plus d'infos à propos de Chanoyu Tea
Photos: Darrin Vanselow, La Réserve Genève, Chanoyu Tea, François Wavre, Thomas Buchwalder