Texte: Marc David | Photo: Julie de Tribolet
Ses premières pommes, Thibaut Honajzer, chef pâtissier au restaurant Anne-Sophie Pic du Beau-Rivage Palace depuis 2019, s’en souvient comme hier. Il était haut comme trois pommes quand, dans son Auvergne natale, son père allait «glaner», soit ramasser des fruits et des plantes sauvages. «Impossible de savoir de quelle variété ces pommes étaient, mais elles étaient non traitées et succulentes.» Ensuite, le bonheur en famille consistait à les éplucher, à ajouter un peu de sucre et de cannelle et à les mettre au four pendant 20 à 30 minutes, avec une noisette de beurre. «Cela donnait une pomme un peu confite, juste magique. Aujourd’hui, j’ajoute de la fleur de sel, qui fait saliver le palais. Il faut juste faire attention à ne pas cuire trop fort, pour que tout ne parte pas en compote.»
(Grande photo ci-dessus: Thibaut Honajzer et sa Tatin dans la salle du restaurant)
Des pommes ultra-locales! Des pommes, il en existe plus de 6000 sortes, à consommer environ d’octobre à mars. Sur la carte du restaurant du Beau-Rivage, l’enthousiaste pâtissier en propose jusqu’à fin mars, après avoir procédé à une soigneuse sélection. «Dans notre restaurant, la cheffe Anne-Sophie Pic et le chef pâtissier du groupe Eric Verbauwhede demandent de privilégier les produits locaux; or les pommes sont une institution en Suisse romande.» Il travaille donc avec Valentin Blondel, à L’Esprit du Fruit, maison de tradition qui pratique la vente directe à Crissier (VD). Ce cultivateur fait croître une dizaine de variétés de pommes par an, à côté d’autres fruits comme les cerises, les pêches ou les abricots. Dans ce verger, le pâtissier aime aussi que les fruits ne soient traités que jusqu’à la floraison.
Il change de pommes selon les desserts. Ses desserts se créent toujours sous l’impulsion de la cheffe Anne-Sophie Pic, qui donne la direction et accompagne le travail du pâtissier. Une pomme est ainsi choisie en début de saison et une autre dans un second temps. «Il s’agit d’abord de l’elstar, parfumée, avec une pointe d’acidité. En automne, je la travaille avec six sortes de menthe qui ont poussé dans le jardin et de la chartreuse.» Et la pomme de fin de saison, jusqu’au printemps? «Comme je souhaite une note plus chaleureuse, j’ai choisi la topaze. Il s’agit d’une pomme de garde, fondante, qui tient bien la cuisson. Sa belle acidité contraste avec le sucre apporté dans la caramélisation, elle possède aussi des notes beurrées qui vont bien s’accorder.»
En ce moment, il la prépare en divine pomme Tatin. Avec notamment une glace à la bière (la Chameau de Dr. Gab’s) et du pain grillé, torréfié jusqu’à la limite de le brûler. «Cela donne des notes acidulées, fermentées. Pour apporter une pointe de gourmandise, j’ajoute du caramel à la noix de muscade, ou macis, qui apporte des saveurs douces.» A chaque fois, il raconte une histoire. Dans le cas de la pomme Tatin, il imagine son dessert dégusté devant une cheminée pour se réconforter alors que le froid règne encore au-dehors. «Confite, légèrement épicée, elle se marie bien avec ces odeurs de bois fumé.» Ce pâtissier est un conteur des fourneaux.
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