Texte: Elsbeth Hobmeier
Un produit rare et cher. Chef de la Croix-Blanche à Villarepos (15/20 au GaultMillau, une étoile Michelin), Arno Abächerli est un fan des produits locaux. De l'agneau du village au poisson des lacs proches en passant par les légumes du Seeland, il magnifie le terroir de sa région. Désormais, ce membre des Jeunes restaurateurs s'acoquine aussi des morilles du canton de Fribourg. Il n'est pas allé lui-même à la cueillette forestière, mais fait confiance à Monsieur Ben, qui cultive «un produit excellent, rare et absolument saisonnier», s'enthousiasme le chef. Ce dernier a «toujours été réticent à devoir recourir à des morilles provenant de Chine ou du Kosovo». Béni soit Monsieur Ben!
(Grande image ci-dessus: Monsieur Ben à g. et Arno Abächerli à d.)
Morilles, asperges, ail des ours. Lorsqu'il a entendu parler de Monsieur Ben, le premier producteur de morilles de Suisse, Arno Abächerli a instantanément pris son téléphone. De fil en aiguille, les deux hommes ont tissé un lien de confiance, et c'est ainsi qu'à partir du Vendredi saint et jusqu'à la mi-mai environ, le menu gastronomique de la Croix-Blanche comprendra toujours un plat de morilles fraîches. Elles sont servies avec des gnocchis et accompagnées d'une sauce à la crème et d'un peu de pesto à l'ail des ours. Parfois avec des asperges, parfois avec un œuf poché. Le printemps à l'état pur dans l'assiette!
Le chef Abächerli est ravi du succès de Monsieur Ben, qui voit ses morilles pousser en ce printemps ensoleillé.
Monsieur Ben est le premier à commercialiser le champignon tant convoité en Suisse.
Fraîchement cueillie, la belle récolte est prête à être travaillée en cuisine.
Comment poussent les morilles? Le matin de notre visite, Arno Abächerli se rend chez Monsieur Ben, dans le district fribourgeois de Sarine. Au milieu de verts pâturages, à l'orée d'un petit bois, on aperçoit de longs tunnels recouverts d'un tissu noir ou vert. En dessous, les premières morilles sortent la tête de terre. «Ce sont des êtres fragiles, la forêt et le tunnel les protègent de la bise et du trop grand froid», explique Monsieur Ben, qui a planté, par tunnel, 420 petits pots en terre cuite contenant des graines. Cette saison, il espère une bonne récolte (entre 60 à 80 kilos par tunnel). Chaque après-midi, Monsieur Ben et sa femme coupent les champignons qui ont suffisamment poussé, et le lendemain matin, il les conduit directement chez le client. «Ils sont en cuisine avant 10 heures, souligne le champignonneur, qui ne veut livrer que la marchandise la plus fraîche. Il livre presque exclusivement des chefs notés au GaultMillau.
Arno Abächerli et Monsieur Ben, deux Fribourgeois pour un seul objectif: le meilleur produit régional.
40 tunnels à morilles. On l'a compris, Monsieur Ben est un passionné. Enfant déjà, il s'intéressait énormément aux champignons. Avec le temps, cet homme de 45 ans a quitté le monde des start-ups pour faire «quelque chose de plus terre-à-terre». En automne 2023, il a rassemblé toutes ses économies, a cherché un terrain non pollué, a acheté le mycélium de champignons en France, a construit les tunnels et a planté ses premières morilles en dessous, qu'il a pu récolter au printemps 2024. L'investissement était important, le travail manuel qu'il fournit avec sa femme et un assistant est immense. Malgré cela, un travail de bureau à temps partiel est encore nécessaire aujourd'hui pour gagner sa vie. Mais Monsieur Ben a une ligne directrice fixe: une qualité maximale, uniquement du travail manuel, pas de chimie, 40 tunnels au maximum.
L'Auberge de la Croix Blanche sort de terre en pleine campagne, dans le paisible village de Villarepos.
95 francs le kilo. Si Monsieur Ben est bien le premier cultivateur de morilles de Suisse, cette activité a longtemps semblé impossible hors nature. La première culture réussie date de 1982 aux États-Unis, et aujourd’hui, elles sont principalement cultivées en Chine. La production à Annecy, en France, est entièrement destinée à la haute cuisine locale. Contrairement à leur habitat naturel sur le sol forestier, la culture de morilles n’est pas pérenne et doit être recommencée chaque automne. Vu la quantité de travail nécessaire, le prix de 95 francs au kilo n’est pas si élevé. Premier client de Monsieur Ben, Arno Abächerli souligne d’ailleurs: «J’en commande cinq kilos par semaine, mais je n’ai aucune perte et je sais que je ne les trouverai nulle part ailleurs avec une telle fraîcheur. Cette différence de prix en vaut la peine, pour moi comme pour mes clients.»
Le restaurant La Croix-Blanche à Villarepos
Le producteur de champignons Monsieur Ben
Photos: David Birri