Texte: Daniel Böniger
À LA CARTE CHEZ RAVET, SATO ET WEHRLE. Montres, chocolat et couteaux suisses. Quand on évoque des produits typiquement helvétiques, on pense à beaucoup de choses, mais en général pas aux crustacés. Et pourtant, dans notre pays, une poignée d'entreprises se sont spécialisées dans l'élevage de crevettes. Et ce qui est encore plus étonnant, c'est que des chefs de renom comme Dominik Sato, Mike Wehrle ou Guy Ravet se les arrachent, d'autant plus prisées qu'elles sont "made in Switzerland".
LE «MADE IN SWITZERLAND» S'APPLIQUE AUSSI AUX CREVETTES. Pour Jonas Ingold du restaurant Löwen, à Messen, dans le canton de Soleure (16/20), les crevettes proposées par Swiss Shrimps ont deux atouts: «leur fraîcheur et leur mode de production durable, sans compromis». Il y a quelques années, lorsqu'il a entendu parler pour la première fois de la ferme de Rheinfelden (AG), il a immédiatement commandé ces crustacés, pour les tester. Depuis, son enthousiasme pour cette production locale n'a pas diminué. Celui de sa clientèle non plus, d'ailleurs. Le chef les propose, par exemple, sous forme de tartare avec de la bisque montée en mousse, de la mayonnaise au wasabi, du kimchi et du caviar Oona. Un plat d'une originalité insoupçonnée puisque tous ses composants proviennent de Suisse! «L'expérience gustative pour nos clients ne serait pas la même si je devais écrire sur la carte que ces crevettes proviennent d'une aquaculture au Vietnam», assure Jonas Ingold.
GARANTI SANS ANTIBIOTIQUE. Si proposer des crevettes suisses permet de réduire leur empreinte carbone, puisque des dizaines de milliers de kilomètres de transport aérien ne sont plus nécessaires, ce n'est pas la seule raison pour laquelle les chefs suisses s'enthousiasment pour ces crustacés produits dans le pays. Ils apprécient également le fait de savoir qu'elles sont élevées sans antibiotiques. «Une qualité qui se répercute sur le prix, élevé si on le compare avec les importations étrangères», explique Luca Bianchi de Bianchi SA, qui propose des produits de Schlössli Shrimps, de St. Margrethen (SG). «Au final, les crevettes suisses coûtent trois fois plus cher que la marchandise en provenance du Vietnam». Voilà qui explique pourquoi plus de 99% de toutes les crevettes mangées dans notre pays continuent de provenir de l'étranger. Ce qui rend les crevettes suisses d'autant plus exclusives.
CONGELÉES COMME DES PETITS POIS FRAIS. Selon l'élevage, elles peuvent être proposées congelées ou pas. Dans le cas des Schlössli Shrimps, les crevettes sont pêchées dans le bassin et immédiatement congelées par choc, comme on le fait pour les petits pois. Chez Swiss Shrimps, en revanche, elles ne sont sorties de l'eau qu'après chaque commande. Réfrigérées, elles sont emballées dans des boîtes réutilisables et recyclables et arrivent au maximum 24 heures plus tard - non congelées - chez le client. «Le goût subtil, avec une légère saveur de noisette, est ainsi mieux mis en valeur, par exemple dans un ceviche ou un tartare», explique Rafael Waber, cofondateur et responsable marketing.
SEL DU VOISIN, BOIS DE SA PROPRE FORÊT. Pendant tout le processus de production de ces crevettes, la durabilité est une préoccupation constante. Notamment lorsqu'il s'agit de chauffer les bassins d'élevage. Chez Swiss Shrimps, on utilise pour cela la chaleur résiduelle des salines voisines, d'où proviennent d'ailleurs les plus de 300 tonnes de sel que l'on ajoute chaque année à l'eau. Chez Aemme Shrimps à Burgdorf (BE), où l'agriculteur Christian Kunz élève des crevettes en plus de son troupeau de vaches et de ses cultures maraîchères et fruitières, le chauffage est assuré par des panneaux solaires et une installation à copeaux de bois, alimentée, d'ailleurs, par du combustible provenant de sa propre coupe de bois.
CREVETTES ET FRAISES ENCORE VERTES. S'il faut vraiment trouver un défaut à tous ces fournisseurs, c'est qu'il s'agit de fermes d'élevage. En effet, la reproduction sur place est trop coûteuse. Ceci dit, pour les chefs, cela ne semble pas être une priorité absolue. Et de toute manière, cela ne diminue pas leur intérêt pour ces crevettes locales. Ainsi, dans leur Villa Hundert surplombant Engelberg, John Jezewski et Christian Brangenfeldt combinent ces crevettes suisses avec des feuilles de brocoli cuites à la vapeur, une émulsion de porc laineux et des fraises encore vertes. De la cuisine nordique «made in Switzerland», en somme! Quant à Noémie Bernard, du restaurant Sternen à Walchwil, au bord du lac de Zoug, elle propose les crevettes à la carte sous forme de tartare, avec de la crème de courge. Une inventivité qui répond à la demande toujours grandissante des clients. À laquelle les producteurs peuvent répondre, assure Rafael Weber de SwissShrimps, «nous pouvons fournir plus, sans problème.»
Les élevages de crevettes suisses:
www.greenfish.ch (Schlössli Shrimps)
Photos: Thomas Buchwalder, Pascal Grob, David Biedert, Digitale Massarbeit, Olivia Pulver, HO