Text: David Schnapp Photos: HO, Olivia Pulver, Lucia Hunziker

En 2019, vous avez mis en route l’immense navire Casino Bern, début 2020 il était lancé, ensuite est arrivée l’année covid. Comment avez-vous vécu cela?

Dans un premier temps, nous avons mis à profit le temps du confinement pour améliorer certaines choses et préparer l’avenir. En été, avec la terrasse et le gril, nous avions un concept qui a rencontré du succès. Mais nous n’avons pas pu continuer sur cette lancée, car dans le restaurant la capacité a dû être fortement réduite alors que c’est un important facteur de réussite pour un grand établissement. Certes il y a le chômage partiel, qui est un bon instrument de gestion pour les entreprises, mais pour les collaborateurs ce n’est pas toujours facile.

 

Qu’est-ce qui rend les choses difficiles?

Dans le secteur de la restauration, tout particulièrement, les collaborateurs sont des passionnés. Ils ne comprennent donc pas qu’il faille rester à la maison, inactif. Cela pose même de sérieux problèmes à certaines personnes. Nous avons dû mettre à disposition une aide psychologique pour de telles situations.

 

Pouvez-vous vous préparer à l’année à venir?

Les perspectives pour 2021 sont délicates et relèvent plutôt de la boule de cristal. Nous recruterions volontiers les bons éléments qui sont actuellement disponibles sur le marché du travail. Nous avons eu quelques départs de collaborateurs qui ont changé de secteur. Mais ça n’a pas de sens d’engager des collègues en réserve sans savoir si on en aura effectivement besoin ensuite.

 

Comment faites-vous pour rester motivé dans une telle situation?

C’est peut-être comparable avec la cuisine: lorsqu’on prépare quotidiennement les ingrédients les meilleurs et les plus chers, à un moment donné il n’y a plus tellement de surprises. Mais lorsqu’on se limite à des ingrédients d’origine régionale, c’est à chaque fois un nouveau défi qui enclenche des processus créatifs. Il faut aussi constamment s’adapter à la situation, et ça me motive.

Casino Bern

Un monument bernois: le casino au bout du Kornhausbrücke.

Dave Waelti schmeisst im Casino in Bern die Bistro Bar mit offener Kueche. - Bern, 16. Oktober 2020 - Copyright Olivia Pulver

Le casino sert des boissons, de la nourriture ou des gâteaux toute la journée.

Qu’est-ce que cela signifie concrètement pour le Casino Bern?

Un établissement de cette taille ne fonctionne pas comme un bistrot de quartier ou une cuisine classique où le chef fait une annonce et tout le monde crie «oui chef!». Nous avons observé que mélanger les équipes permet de garantir un certain niveau de qualité, indépendamment des personnes. En répartissant entre plusieurs personnes des tâches telles que la production et la mise en place, mais également les achats, la planification du travail, le budget ainsi que la formation et la direction, nous créons de meilleures conditions pour le succès d’un grand établissement gastronomique.

 

Le célèbre dicton «trop de cuisiniers gâtent la sauce» n’est-il plus valable?

Il reste valable, s’ils se consacrent tous aux mêmes tâches. Nous avons mis en place une organisation moderne, dite «en cercles», où chaque responsable est spécialisé dans un aspect en particulier. Cela vaut mieux que lorsque tout dépend d’une seule personne au sommet.

 

En 2020, avec la Zunfttisch (table des confréries), vous avez lancé un projet ambitieux: un spectacle culinaire audiovisuel encore jamais vu en Suisse. Dans quelle mesure est-il douloureux de ne pas pouvoir y dresser la table?

Dans ce cas, il s’agit d’un report et non pas d’une annulation. La demande est importante. Dès que ce sera de nouveau possible, la Zunfttisch sera de nouveau opérationnelle. Ce qui me manque, c’est le rôle d’hôte – c’est du baume au cœur. Même lorsque je ne suis pas aux fourneaux du Casino, cuisiner me donne toujours beaucoup d’énergie. Mais maintenant je le fais chez moi à la maison.

 

Pour la Zunfttisch, vous avez de nouveau créé vous-même des plats. Quel est le meilleur plat que vous avez servi en 2020?

Pour le livre de cuisine que nous avons publié en lien avec la Zunfttisch, j’ai donné quelques consignes que mes collègues ont ensuite mises en œuvre. Mais la partie apéritif, je m’en suis occupé moi-même. C’est chez moi à la maison que j’ai élaboré la tarte tatin aux oignons accompagnée d’une sauce au fromage du Diemtigtal. Elle a du succès et pourrait bien devenir un classique du Casino. C’était bon de constater que je suis encore capable, si je le veux.

v.l. Stefi Sigenthaler (Chefin Produktion/Event/Catering), Adrian Bürki (Chef Restaurant), Ivo Adam, Atsushi Hiraoka (Sushi Master), Dave Wälti (Chef Bistrobar), Samuel Dober (Chef-Patissier), Florian Bettschen (Leitung), Casino Bern, 10.09.2019, Foto Lucia Hunziker

Stefi Sigenthaler, Adrian Bürki, Ivo Adam, Atsushi Hiraoka, Dave Wälti, Samuel Dober, Florian Bettschen (de gauche à droite).

Zwiebel Tarte Tatin Ivo Adam

Plat signature d'Ivo Adams: la tarte tatin à l'oignon avec sauce au fromage Diemtigtaler.

Est-ce que l’on vous écoute encore au Casino lorsqu’il est question de cuisiner?

Lorsque c’est nécessaire, j’interviens toujours en début de processus et, comme avant, je stimule mes collaborateurs avec des critiques constructives. En tout cas il est rare que mes chefs expriment leur désapprobation et remettent en cause mes objections.

 

Durant cette année tumultueuse, quelle est l’expérience qui vous a fait progresser ou qui vous a marqué?

A partir d’une organisation pyramidale, nous avons exploré de nouvelles voies. A long terme, prendre des décisions en équipe est la meilleure stratégie. Ce changement, où l’organisation prime sur la personne, est un enrichissement incroyable.

 

Quel est le plus beau compliment que vous avez reçu en 2020?

Ma coiffeuse trouve mes cheveux gris beaucoup moins gênants que moi. Et mon fils trouve que je cuisine plutôt bien à la maison. Je me contenterai de ça (rires)…

 

Où irez-vous quand il sera de nouveau possible de voyager?

J’ai encore un séjour dans un lodge privé en Afrique du Sud en attente, un cadeau reçu pour notre mariage. Et j’aimerais absolument retourner en Asie: Chine, Inde, Thaïlande. Il faut que je voie de nouveau quelque chose de différent, que je sente l’odeur de la street food et que je confronte ma réalité à d’autres. Enfin, ma femme n’est encore jamais allée aux Etats-Unis. Cela figure également parmi nos projets.

Roland Trettl Instagram

L'ancien chef 2 étoiles et animateur TV, Roland Trettl, sur Instagram.

Et chez qui voulez-vous impérativement manger une fois?

Si nous arrivons à aller en Amérique, j’aimerais absolument manger à la Chef’s Table – Brooklyn Fare à New York. Et si nous allons en direction de l’Asie, je serais curieux de voir l’Igniv d’Andreas Caminada à Bangkok, car cela m’intéresse de comprendre comment on monte convenablement un tel concept de licence. Au sommet de ma bucket list pour Zurich figure la Neue Taverne de Stefan Heilemann et Nenad Mlinarevic.

 

Dernièrement, les légumes ont été un sujet important pour beaucoup de grands cuisiniers. Qu’est-ce qui se prépare?

Les légumes restent un sujet d’actualité parce qu’ils sont aussi un facteur de coût. Mais je plaide parallèlement pour plus de combinaisons avec des fruits. Ils apportent quelque chose, aussi bien aux desserts qu’aux plats salés. Je pense également que le thème des techniques culinaires pour les légumes n’est pas encore épuisé. La fermentation et les conserves à l’aigre-doux, ça ne suffit pas. Il y a encore du potentiel avec les différentes étapes de cuisson des légumes.

 

Comment occupez-vous votre temps libre?

Je reviens dans mon village d’origine, Lyss, où nous sommes en train de construire une maison. Durant mon temps libre, je suis souvent dans cette oasis de bien-être dans la nature où je coupe et empile du bois. En été, je sors tôt le matin sur le lac de Bienne en stand-up paddle. Je ne suis pas particulièrement ésotérique, mais ce calme est impressionnant et me procure un genre d’énergie qui me fait du bien.

 

Qu’est-ce qu’il y a toujours dans votre frigo à la maison?

Du fromage – par exemple il y a toujours un gruyère bien salé mais aussi du fromage à pâte molle. Lait, viande séchée et beurre ne manquent jamais. Et ma femme veille à ce que nous ayons à disposition une incroyable variété de légumes strictement de saison et, autant que possible, toujours bio – elle est très rigoureuse avec ça.

 

Qu’est-ce que vous ne mangez jamais, par principe?

Je ne mangerais jamais un œuf à moitié cuit. Soupes de tortue ou d’ailerons de requin ne sont pas non plus envisageables. Si nous restons en Suisse: le foie de veau ne me dit tout simplement rien. Et les huîtres. Je ne comprends pas.

 

Et que mangez-vous au quotidien?

Du fromage et du chocolat: mon nouveau plaisir dopant, ce sont des graines de cacao du Pérou, entières, torréfiées, issues de l’agriculture biologique. Les arômes, les textures et l’amertume sont incroyables.

 

Quel est le meilleur post Instagram que vous avez vu cette année?

Sur Instagram, je zappe rapidement quand je suis aux toilettes, je n’en retiens pas grand-chose. Mais celui que j’apprécie énormément, c’est Roland Trettl, quand il est aux fourneaux et discute avec son épouse: un grand animateur qui cuisine super bien et doté d’un grand talent pour le divertissement.