Le choix du cœur. «Ce n’est pas moi qui décide avec qui je veux travailler. Les éleveurs que je contacte viennent d’abord découvrir ma cuisine et ma manière de travailler. Ensuite, soit ils acceptent, soit je dois trouver quelqu’un d’autre.» C’est une rengaine que beaucoup de chefs connaissent, mais qui trouve un bel écho dans la bouche de Rafael Rodriguez, chef à l’Auberge de l’Abbaye de Montheron (16/20). Entre ces murs du XIIème siècle, c’est une cuisine de proximité que décline l’homme au charmant accent espagnol. Légumes du potager, poissons du Léman, produits laitiers d’une ferme voisine… et viandes locales! C’est à vingt minutes du restaurant, dans le calme village de Carrouge (VD), que débute pour Rafael la tournée des producteurs…
Astérix et Obélix version 2020. Repris en 2020 au cœur de la pandémie par Jonas Porchet, éleveur de porcs et de boeufs dans le Jorat, et son cousin, le petit abattoir «Jorat Viandes» au centre du village transforme les sangliers sauvages qui pullulent dans le canton. «Ça se compte en centaines par année!» À ses côtés, Rafael sourit: «C’est succulent comme viande, assez corsé mais vraiment bon. Malheureusement, elle est assez mal vue par les clients…» Soucieux de valoriser au maximum les élevages locaux et très présent sur les marchés populaires vaudois, Jonas renchérit: «J’adore le sanglier! Je le prépare en terrine, en saucisse à rôtir ou encore en saucisse aux choux. De temps en temps, je propose des cuisses entières ou d’autres gros morceaux.» En croquant un morceau de lard sec, Rafael précise que l’été, il aime beaucoup faire des évènements en proposant des sangliers à la broche. «C’est une manière festive de le déguster, et c’est ce que j’aime dans mon métier: partager ensemble le goût des bonnes choses.»
La relation humaine plus que financière. En partant, Rafael ne peut s’empêcher de repartir avec un saucisson de sanglier, qu’il dégustera «avec des copains pour l’apéro». Mais ça n’en est pas encore l’heure, et le trentenaire appelle son copain Alex (Alexandre Benoit), éleveur de cerfs, daims et canards à Thierrens, pour lui rendre visite. Ce dernier a choisi de s’occuper de canards pour «diversifier son offre» après les cerfs et les daims. Les volatiles gambadent dans un grand jardin, et le chef étoilé de préciser: «la différence est gigantesque entre une bête qui a la place et le temps de courir, de vivre normalement comme ici, et un animal qui serait enfermé et engraissé le plus rapidement possible.» Celui qui passe toutes les semaines chez la famille Benoit précise qu’à Montheron, le canard est servi en cuisse ou en filet, dès le mois de décembre et pour une courte période.
Cerf de haute voltige. Abattus à un peu plus d’une année et demie de vie dans de nombreux hectares de prairie, les cerfs et les daims sont eux servis en fin de saison de chasse. Sur la carte d’automne, Rafael servait le cerf en tendrissime filet, accompagné d’une somptueuse purée de céleri nature, une sauce aux écrevisses et trompettes de la mort. «J’apprécie beaucoup cette sauce mêlant crustacés de nos lacs et produits de la terre, précise le chef, passé par le restaurant El Celler de Can Roca (élu deux fois meilleur restaurant au monde selon le classement World’s 50 Best: 2013 et 2015). Elle donne une subtilité supplémentaire au plat.» Sur les côtés, un suave chutney de chanterelles borde quelques chanterelles au beurre. Une totale réussite! «Ce plat n’est qu’un exemple, mais il souligne l’importance du choix des produits, insiste Rafael. Je n’aurai jamais la même qualité de viande en allant chercher les bêtes les moins chères ailleurs dans le monde. Ici, je mets le prix, mais je connais tout de A à Z. Et pour cela, le contact avec les éleveurs - devenus des amis - est plus qu’important, il est vital!»