Texte: Jennifer Segui

Service du cœur. Lorsqu’on l’interroge sur sa conception de ce que doit être un service en salle, Sarah Benahmed évoque sans hésiter «un service du cœur, un mélange d’authenticité, de sincérité et d’élégance du geste. Une capacité à percevoir ce que le client attend pour pouvoir lui offrir une expérience sur-mesure». Ces qualités ici énoncées, mélange de savoir-faire patiemment acquis et de perception de l’autre toute personnelle, nul doute que le Guide Michelin, qui a décerné cette année son «Service Award» à la directrice de salle de la Table du Lausanne Palace (17/20), les a aussi relevées. Et ce, pour la deuxième fois, puisque ce prix lui avait déjà été attribué en 2017, alors qu’elle officiait au Crocodile, à Strasbourg.

Le chef Franck Pelux (gauche) photographie Sarah Benahmed de La Table de Lausanne Palace (droite) qui pose avec son prix du service apres la ceremonie pour l'annonce de la selection des restaurants 2024 par le guide Michelin Suisse, ce lundi 21 octobre 2024 a l'Ecole Hoteliere de Lausanne (EHL) a Lausanne. (KEYSTONE/Valentin Flauraud)

Le chef Franck Pelux (à g.) photographie Sarah Benahmed de La Table de Lausanne Palace (à d.) qui pose avec son prix du service après la cérémonie pour l'annonce de la sélection des restaurants 2024 par le guide Michelin Suisse, le lundi 21 octobre 2024 à l'Ecole Hoteliere de Lausanne.

Empathie. Cette attention toute personnalisée, cette nécessaire chaleur humaine, la compagne du chef Franck Pelux en a fait son leitmotiv pour elle-même et ses équipes, dont la jeunesse n’ôte rien à l’efficacité: «Quand je reçois quelqu’un, j’arrive à percevoir certaines choses et je souhaite qu’il en soit de même avec les gens avec lesquels je travaille. Je ne veux pas que notre manière de faire soit robotisée. Donc je demande à mes équipes déjà d'être elles-mêmes.»

 

Aubergistes dans l'âme. Quant aux soi-disant codes imparables pour satisfaire les guides gastronomiques, la jeune femme de 33 ans n’y croit guère: «Nous avons toujours travaillé dans des restaurants avec des superbes notes, mais jamais en pensant d’abord aux guides. On s'est toujours dit, on est nous-mêmes. Chez nous, effectivement, c'est assez décontracté. On est un peu aubergistes dans l'âme, et je ne dis pas ça pour nous donner un genre. On vient de familles modestes. Et qu'est-ce qu'on aime quand on va dans une auberge? C'est cette chaleur humaine. La patronne ou le patron voient grandir les enfants. À la fin, ils viennent boire un petit verre avec vous, ils discutent, ils s'intéressent à vous, on mange de la bonne cuisine, on sauce, il y a de la joie, il y a du bruit dans la salle, il y a de la vie. Mais la gastronomie, c'est ça aussi. Peut-être que parfois, dans notre métier, on s'est trop mis la pression par rapport à ce qu’attendent les guides. En fait, les guides ne demandent rien, sauf passer un bon moment.»

 

Passion plus que quotidien. Laisser un impérissable souvenir dans l’esprit de ses hôtes, voici ce qui anime Sarah depuis l’enfance. Comme lorsque, aînée de trois sœurs, dans la Drôme où elle a grandi, elle préparait de bons petits plats pour ses cadettes, en l’absence de parents parfois pris par leur travail. Sérieuse et bonne élève, Sarah, décide, à 15 ans, et malgré les réticences de son père, qui la verrait davantage médecin ou avocate, d’entrer à l'école hôtelière à Tain L’Hermitage. Là, son cœur balance entre la cuisine et la salle. Pour finalement opter pour la deuxième: «J'ai beaucoup douté. Mais je me suis sentie plus à l'aise en salle. J'avais l'impression que ça répondait à plus de critères. J'adore la cuisine. Mais j'ai préféré la garder en passion plutôt qu’en faire mon quotidien. Peut-être que je savais déjà au fond de moi que j’allais tomber folle amoureuse d’un chef bourguignon!»

Femme inspirante Sarah Benhamed, restaurant la Table au Lausanne Palace

Sarah Benahmed a pour leitmotiv de rester elle-même, pour un accueil chaleureux et naturel de chaque convive.

Coup de foudre étoilé. Cet homme providentiel, Sarah rencontre une première fois alors qu’elle est en stage au restaurant le Charlemagne, non loin de Beaune. Concentrée sur ses études, et tout juste âgée de 16 ans, elle laisse le temps au temps malgré le coup de cœur. Deux ans plus tard, ils se croisent à nouveau, et c’est le coup de foudre. Le couple ne se quittera plus, lui en cuisine et elle en salle. Parcours dans de grandes maisons, à Courchevel chez Yannick Alléno ou à Saint-Tropez pour Arnaud Donckele, puis expérience en Chine, en 2015, pour prendre en main le restaurant Temple à Pékin. Des années aussi passionnantes que harassantes qui permettent à Sarah d’assouvir la passion pour l’Asie qu’elle cultive depuis l’enfance. 

 

Top Chef. En 2019, l’émission Top Chef dévoile le talent de Franck Pelux, qui atteint la finale. Séparés pour la première fois depuis le début de leur histoire pour le tournage de l’émission, le couple décide dans la foulée de revenir en France pour retrouver l’essence même de leur métier. À Strasbourg, ville que Sarah adore, le Crocodile, l'institution gastronomique locale, leur offre une parenthèse dorée, couronnée d’une étoile Michelin pour lui, et d’un prix du service pour elle. Le restaurant est même élu en 2018 «meilleur restaurant gastronomique du monde» par TripAdvisor.

Franck Pelux futur chef du Lausanne Palace et Sarah Benahmed sa compagne qui sera responsable en salle.Ils succèdent à Edgar Bovier

Franck Pelux et Sarah Benahmed sa compagne ont succédé à Edgar Bovier. Depuis, la Table du Lausanne Palace a glané une deuxième étoile Michelin.

Pluie d'étoiles. Depuis 2020, c’est au cœur de la capitale vaudoise que le duo écrit son histoire. A la Table du Lausanne Palace, leur dream team excelle, dans un pas de deux où la cuisine généreuse, gourmande et pleine d’émotions de Franck résonne avec l’élégance et la chaleur du service de la coquette Sarah. Dans une partition où, ensemble, nourris de leurs souvenirs d’enfance, de leurs voyages et de leurs rencontres, ils imaginent des plats qui les racontent. Un titre de «promu de l’année» en 2022, et une note de 17/20 au GaultMillau. Une première étoile Michelin en 2021, puis une deuxième en 2023. Un «Service Award» obtenu cette année… les récompenses pleuvent. 

 

Pour toutes les mères. Les amoureux accueillent en 2022 leur plus grand bonheur, la naissance de leur petite fille Siana. Une maternité que Sarah Benahmed, seule femme primée lors de la dernière cérémonie Michelin, a tenu à évoquer en recevant son prix. Histoire de prouver à celles et ceux qui hésitent que ce métier de passion peut s’accompagner d’une vie de famille épanouie: «C'est du travail. C'est du travail, mais je dirais juste que quand on veut, on peut. Il faut juste le faire avec beaucoup de passion, de cœur, de sincérité et ça paie toujours. Il ne faut jamais faire quelque chose en attendant un retour. Nous, par exemple, c'est vrai qu'on donne beaucoup. Que ce soit à nos collaborateurs, à nos clients, on donne beaucoup de temps, on donne beaucoup d'amour. Mais la vie nous le rend... C'est incroyable!»

 

La Table du Lausanne Palace

 

Photos: Julie de Tribolet pour L'Illustré / Keystone