Montée à l’alpage. Pas de panique! Il est toujours là. Plat emblématique de l’Auberge de la Cergniaulaz depuis des années, le célèbre lapin à la tessinoise n’a pas bondi hors de la carte. Amoureusement mijoté et accompagné de sa polenta onctueuse, ce mets qui, à lui seul, attire de nombreux gourmets en quête de rusticité, attend toujours les courageux qui ont décidé d’entreprendre l’ascension vers le vert pâturage qui entoure l’Auberge. C’est qu’il en faut de la volonté, et/ou de l’appétit, pour braver les lacets au-dessus de Montreux en direction de Chamby, passer le Vallon de Villard, puis pousser encore un brin avant de s’arrêter entre prés et forêts.
Chalet centenaire. Et tout cela pour quoi? Pour s’attabler dans ce petit chalet de montagne centenaire, posé au détour d’un virage, ultime point de vue plongeant sur le Léman. Une situation qui, depuis des générations, a fait de La Cergniaulaz plus qu’un restaurant. C'est un lieu de rendez-vous où l’on vient, aux beaux jours et en famille, déguster le fameux lagomorphe à grandes oreilles ou quelques autres classiques. Où l’on se presse aussi, dès la fin de l’été, pour se régaler des plaisirs de la chasse, qui a, dans cet écrin de verdure, fort belle réputation.
Orianne Weber et Lisa Stucki ont repris l'auberge en 2023.
Lawrence Bamberger, que l'on a connu à la cantine du Neubourg à Neuchâtel, apporte un supplément de créativité en cuisine.
Un duo féminin. Les traditions ont beau perdurer, le lieu a, depuis mai 2023, doucement opéré sa mue. Il y a d'abord eu la reprise par un duo féminin tombé sous le charme de cette adresse champêtre. Toutes deux de formation artistique (l’une a fait l’ECAL, l’autre l’école de photographie de Vevey), c’est à l'ancien Blackbird, à Lausanne, que se sont rencontrées Orianne Weber et Lisa Stucki. Aux Avants, la première est en salle, quand la seconde, talentueuse autodidacte, œuvre en cuisine.
Adieu taxidermie. Ensemble, elles ont débarrassé les animaux empaillés, ajouté ici et là quelques fleurs séchées sur le mobilier de bois. Orianne Weber est d’excellent conseil quand il s’agit de détailler la liste des vins qui laisse une large place aux pépites régionales. Côté carte, la tendance est à ce qui se cueille ou se cultive, comme l’explique Lisa Stucki: «Naturellement, nous sommes toutes les deux plus attirées par les propositions végétales, la cuisine de saison et les produits de proximité. Peu à peu, nous nous centrons moins sur la viande, même si nous n’y renonçons pas totalement.» Sur l’ardoise, le marché dicte les propositions: «Nous travaillons uniquement à base de produits suisses, qui parcourent un grand maximum de 50 km», précisent les deux jeunes femmes.
La tartelette aux petits pois frais, crème de ricotta-anchois et son sorbet à la menthe, une divine entrée printanière.
Légumes et herbes. Cette cuisine de marché n'empêche pas les assiettes d'être aussi jolies que créatives. Et ce d’autant plus depuis l’arrivée, en octobre dernier, de Lawrence Bamberger, dont on avait apprécié le talent à la Cantine du Neubourg à Neuchâtel. Venu se mettre au vert, au sens propre comme au figuré, après la dure épreuve de la fermeture de son restaurant pour difficultés financières, le chef y apporte une dimension supplémentaire. «Mon restaurant, c’était comme mon bébé. Quand j’ai dû le fermer, j’ai eu besoin d’ailleurs. La montagne, le calme, c’est très inspirant. Moi qui suis très novice en plantes sauvages, j’ai dû m'y mettre.» En cuisine, le duo qu’il forme désormais avec Lisa Stucki, qui loue la technicité de son nouveau collègue, fait des merveilles. A l’image de cette tartelette de petits pois frais justement cuits, lovés sur un nuage de ricotta parsemée d’anchois et posée sur un fond de pâte sablé. Accompagnée d’un sorbet de menthe, c’est aussi frais que délicat. Et si joliment dressé.
Joli jeu de textures pour cet oeuf parfait posé sur son velouté de morilles que l'on déguste à l'aide de ce cracker à l'ail des ours.
Un soupçon d'Asie à 1330 mètres d'altitude pour cet accord topinambour et shitaké.
La quenelle de brochet s'accompagne d'une rondelle d'épinards frais, d'un fumet de poisson et crème de matcha et d'une tuile à la poudre d'orties.
Viandes voisines. Délicate, la quenelle de brochet l’est aussi avec son fumet de poisson et son émulsion d’herbes tout juste cueillies dans les prairies et les forêts voisines. Preuve que les viandards ne sont pas oubliés, le traditionnel os à moelle arrive sous forme de deux parts généreusement persillées accompagnées de quelques toasts de pain grillé à tartiner d’un surprenant beurre au café. Autre proposition, le secreto de porc, un morceau tendre et gras juste ce qu’il faut produit dans la région, est assorti d’une myriade de légumes, en purées et en émulsions, et d’une sauce à la réglisse totalement bienvenue. Estampillées «viandes de nos monts», les pièces proviennent d’éleveurs installés à proximité immédiate.
Au sommet! Quant aux desserts, comme cette tarte aux noix caramélisées façon tarte des Grisons, ils valent la peine qu’on leur garde une petite place. Quitte à les déguster à l’heure du goûter, sur la terrasse toujours prête à accueillir le visiteur monté à pied ou en voiture pour une halte gourmande. Désormais ouverte toute l’année, l’Auberge de la Cergniaulaz nous donne rendez-vous au sommet.
Auberge de la Cergniaulaz aux Avants, Montreux
Photos: Elsa Guillet, Lisa Stucki, Camille Saladin