Texte: David Schnapp Photos: Maurice Haas

DES BRÛLURES AU TROISIÈME DEGRÉ SUR TOUT LE CORPS. Pour la première fois depuis son terrible accident, David Heimer, chef et copropriétaire du restaurant Josef (15/20), une des tables cultes de la région zurichoise, est revenu sur sa descente aux enfers. Après avoir percuté une ligne à haute tension lors d'un saut en parachute à Barcelone en mai 2023, son parachute s'est enflammé. David Heimer a été gravement brûlé, au troisième degré, sur 70 % de son corps. Le chef d'origine suédoise est ensuite resté plusieurs semaines dans le coma. Pire encore, il a dû être amputé de tous ses doigts suite à un choc septique. Mais David Heimer est un guerrier. Depuis plus d'un an maintenant, il se bat pour revenir en cuisine, dans une clinique de rééducation. Sa sortie de l'hôpital est prévue dans quelques semaines, et il nous explique comment la suite va se passer.

David Heimer: «Das Leben ist doch schön!»

Thérapie et entraînement quotidiens: David Heimer à la clinique de rééducation de Bellikon.

DAVID HEIMER, DÉSOLÉ POUR CETTE QUESTION STUPIDE, MAIS QUAND MÊME: COMMENT ALLEZ-VOUS?
La question n'est pas si stupide que ça. La plupart des gens pensent que je vais répondre que ça va mal, mais en fait, je suis en train de m'accommoder de ma situation. L'être humain s'habitue vraiment à beaucoup de choses.

 

DONC, COMMENT ALLEZ-VOUS?
En ce moment, je suis relativement heureux, sans mentir. Dans quatre mois, je pourrai quitter le centre de rééducation, ce qui est déjà une première bonne nouvelle. En outre, en un an et demi j'ai vraiment beaucoup appris sur moi-même. Alors, certes, j'ai énormément perdu, mais il y a néanmoins des enseignements positifs à tirer de cette catastrophe. Encore faut-il le vouloir, ce qui est mon cas.

 

POURQUOI AVEZ-VOUS DÉCIDÉ AUJOURD'HUI DE PARLER DE CET ACCIDENT?
Au départ, je ne voulais pas, je ne trouvais pas que mon histoire était intéressante. J'ai une famille et des amis fantastiques qui me soutiennent, ce qui rend peut-être les choses plus faciles pour moi que pour d'autres. Cela m'a convaincu de témoigner, pour montrer à tous ceux qui sont en situation difficile que beaucoup de choses sont possibles si on ne baisse pas les bras.

 

DANS UNE RÉCENTE INTERVIEW, VOUS VOUS DÉCRIVEZ COMME UN «MONSTRE» QUI EFFRAIE LES GENS.
C'est une expérience que j'ai vécue un jour, lorsque des enfants m'ont dévisagé. Cela m'a profondément marqué. Cependant, aujourd'hui, je m'efforce de révéler ce qui se cache au-delà des apparences, en mettant en lumière mon âme plutôt que mon apparence extérieure.

Restaurant Josef, David Heimer, Küchenchef

Une image d'un autre temps: Heimer devant le restaurant Josef à Zurich.

Restaurant Josef

«Mes exigences dans la vie sont toujours élevées»

VOTRE VOLONTÉ DE SURVIVRE EST IMPRESSIONNANTE. EN MÊME TEMPS, VOTRE BESOIN D'ADRÉNALINE VOUS A FAIT FRÔLER LA MORT DE PRÈS. EST-CE L'UN DES PARADOXES QUI NOUS CARACTÉRISENT, NOUS LES ÊTRES HUMAINS?
J'ai beaucoup réfléchi à la question. La vitesse, la recherche constante d'adrénaline, ce sont des choses qui ne m'intéressent plus beaucoup aujourd'hui. D'ailleurs, je n'ai pas vraiment le choix, puisque désormais tout va très lentement pour moi. Maintenant, quand je traverse la rue, je regarde trois fois à gauche et à droite. Non pas parce que j'ai peur, mais parce que j'ai pris conscience de la vitesse à laquelle tout peut basculer. Dans le centre de rééducation, j'ai par exemple vu énormément de personnes arriver brisées après un accident de moto.

 

EXTÉRIEUREMENT, VOUS ÊTES ENCORE TRÈS MARQUÉ PAR VOTRE ACCIDENT. EST-CE QUE VOUS AVEZ GARDÉ LES SENS DU GOÛT ET DE L'ODORAT?
Oui, et au début, ils étaient même hyper développés. Par exemple, ma chambre d'hôpital se trouvait au septième étage, et si quelqu'un allumait une cigarette dans le parc en bas, je la sentais avec acuité.

 

LA PATIENCE EST L'UN DES ASPECTS LES PLUS IMPORTANTS DE LA RÉÉDUCATION. AVEZ-VOUS UNE ASTUCE MENTALE POUR VOUS IMPOSER LA DISCIPLINE NÉCESSAIRE, VOUS LEVER TOUS LES MATINS ET RÉALISER CHAQUE JOUR DES PETITS PROGRÈS?
Mon principe de base est de rester dans le moment présent et de tirer le meilleur parti de chaque instant. Je ne peux pas me fixer trop d'objectifs à la fois et je dois me laisser porter. Ce qui est nouveau pour moi, c'est que je préfère faire un petit pas, mais stable, plutôt qu'un grand pas rapide, mais qui risque de me faire perdre mon équilibre. On va certes moins vite, mais on ne tombe pas et on économise également beaucoup d'énergie.

 

CROYEZ-VOUS AU DESTIN? Y A-T-IL UNE LEÇON À TIRER DE CE TERRIBLE ÉVÉNEMENT ?
C'est une question que je me suis posée, mais bien évidemment, il n'y a pas de réponse. Et d'ailleurs, c'est peut-être mieux ainsi. Au final, je ne sais toujours pas si cet accident a été voulu par Dieu ou par le diable.

 

AVEZ-VOUS TOUJOURS ÉTÉ CONTENT D'AVOIR SURVÉCU?
Oui, c'est clair. Mes exigences envers la vie restent élevées. Seul le dernier hiver dans la clinique de rééducation a été difficile. Ceci dit, un hiver entier en Argovie aurait de toute manière été difficile, même sans accident (rires). Malgré tout, la vie est belle, et ça vaut la peine de se battre pour elle!

 

VOUS AVEZ BESOIN DE PROTHÈSES POUR LES DOIGTS, VOTRE NEZ DOIT ÊTRE RECONSTRUIT. QUEL EST LE PRONOSTIC?
Je recevrai des prothèses biomécaniques, que je peux commander avec des signaux musculaires, avant ma sortie de l'hôpital. En revanche, on ne sait pas encore quand le nez pourra être reconstruit. C'est une opération complexe qui nécessite beaucoup de préparation.

David Heimer

«Je veux absolument refaire de la cuisine»: David Heimer avec un ami à Zurich.

QU'EST-CE QUI VOUS MOTIVE, QUI SOUHAITEZ-VOUS DEVENIR DANS CETTE DEUXIÈME VIE QUI S’OFFRE À VOUS?
Je veux absolument refaire de la cuisine. Je peux créer des plats et les assaisonner, diriger une équipe ou développer des concepts. Ce qui est irréaliste, c'est que je sois aux fourneaux et que je participe à des services frénétiques, dans la chaleur. Mais on verra bien assez tôt comment tout cela peut s'organiser. Pour l'instant, une chose après l'autre...

 

Photos: Nik Hunger (2)