Texte: Urs Heller Photos: Olivia Pulver
«Je peux montrer qui je suis». Anne-Sophie Pic est de retour. Son restaurant au Swiss Deluxe Hotel Beau-Rivage Palace a rouvert, plus beau, plus lumineux, plus généreux que jamais. «Et plus féminin, aussi», se réjouit la cheffe: «Ce restaurant est taillé sur mesure pour moi. Je peux montrer qui je suis, alors qu’avant, il me paraissait trop sombre, trop masculin». Benjamin Chemoul, le directeur général du Beau-Rivage Palace, tient à voir Anne-Sophie Pic heureuse. Des travaux de transformation ont donc été entrepris pendant des mois. L'architecte d'intérieur parisien Tristan Auer, également responsable du «Mandarin Oriental Savoy» à Zurich, a travaillé avec sensibilité et soin: la cheffe rayonne.
Table d'hôte dans le jardin. Points forts du nouveau restaurant: «La Poya d'Anne-Sophie Pic», une aquarelle de l'artiste Michael Rampa de Château d'Oex, où apparaissent les portraits des principaux producteurs. Au milieu du restaurant, le nouveau bar où les boissons avec et sans alcool sont mixées et où un client pressé peut s’offrir un déjeuner rapide. Puis, il y a deux longues tables, dont l'une à l'extérieur dans le jardin, entre les plates-bandes d'herbes aromatiques. Elle sera prochainement abritée sous une pergola: c’est la table d'hôte, version Pic. À Lausanne depuis 15 ans, la cheffe, qui est déjà la cuisinière la plus étoilée au monde chez Michelin, ne fait pas mystère de ses ambitions: elle veut gagner des points et des d'étoiles.
Chef Jordan aux fourneaux. À Lausanne, c'est un nouveau chef qui doit (une fois de plus) prendre les choses en main: Jordan Theurillat, formé chez Marc Haeberlin en Alsace, occupe depuis quelques années déjà le poste de sous-chef à Lausanne et à La Dame de Pic à Paris. Après quelques semaines de formation spéciale à la maison mère de Valence, il se lance comme chef, avec un menu enthousiasmant qui est aussi un hommage à la Suisse. Les vins sont à l'honneur, le saké est importé du Japon. Le premier amuse-bouche est d’embllée un petit hommage au pays hôte: un bricelet fin, croustillant et chaud, fourré au gruyère de chez Jacques Duttweiller. Chez Anne-Sophie Pic, même les choses simples sont d’anthologie.
La magie de la féra toute simple. La cheffe a trouvé un allié à Lausanne: Serge Gidoux de la Pêcherie d'Ouchy. Ce pêcheur professionnel dégote pour elle des féras et des ombles chevaliers dans le Léman, directement devant l'hôtel. Cuit à la flamme sur du charbon japonais Binchotan, l’omble développe un goût merveilleux. Mais la féra nous a encore plus impressionnés. Pas rare, ce poisson se mue en produit de fine gastronomie entre les mains d’Anne-Sophie Pic. L'astuce? Le poisson arrive incroyablement frais en cuisine où il est nettoyé méticuleusement, puis suspendu dans une armoire de maturation pendant quatre ou cinq jours. Il est ensuite mariné avec une feuille de figuier du jardin de l'hôtel et finalement servi avec une crème à base de lait d'amande frais et d'amazake.
Les berlingots: un copyright Pic! Deux plats figurent toujours sur la carte: les berlingots et le bar de ligne. Les premiers sont marqués du copyright ASP. Il s’agit de raviolis ultrafins en forme de pyramide, fourrés au fromage de brebis du Mont Gibloux dans les Alpes fribourgeoises. Mais au fil des saisons, ils s’agrémentent de composants toujours différents. En cette fin d'été, ils recèlent du maïs et de safran du Jura. Une invention d'Anne-Sophie devenue incontournable. Il en va de même pour le bar, que le célèbre père de la cheffe, Jacques Pic, a revisité en 1971, avec du caviar en abondance et un élégant beurre blanc.
Le cochon aux herbes. Nouveau au répertoire, le cochon aux herbes, il s'agit d'une tranche de porc aux herbes de Thurgovie, affinée pendant 40 jours, servie avec du géranium rose et du chou au gingembre. Avec cette truie thurgovienne un vin thurgovien s’impose: le pinot noir No. 3 du Schlossgut Bachtobel. L'accompagnement en boissons du menu est inhabituel: tantôt du vin (Grünenfelder, Darioli), tantôt du saké, tantôt du thé sans alcool. Ils sont préparés avec amour dans l'élégant nouveau bar. Bien entendu, les desserts sont eux aussi de première classe : la « Tête de Moine AOP » est servie nature et sur une élégante tartelette. Au rayon sucré, « Le chocolat grand cru de Sambirano » aux baies et au génépi a particulièrement impressionné les convives: le fait qu'une star française ne mise pas sur le chocolat Valrhona, mais sur les produits schwytzois de Felchlin est remarquable.
Photo du cochon aux herbes: HO