Texte: Siméon Calame | Photos: DR, Festival International du Film de Fribourg
Fribourg est la «Ville suisse du Goût 2023» et Pierrot Ayer (Le Pérolles, 17/20) parrain de la Semaine du Goût. Et pour bien débuter cette année de fête de la gastronomie, le Festival International du Film de Fribourg (FIFF) se met à table, avec 15 films qui traitent, de près ou de loin, de l’alimentation. Entre rires francs, émotion palpable et grand sérieux, Thierry Jobin, le directeur de la programmation du festival, s’est livré à l'interview.
(Grande photo ci-dessus: une scène du documentaire «The Truffle Hunters»)
Thierry Jobin, si je viens chez vous ce soir, que me préparez-vous à manger?
Oh, j’espère que vous aimez les endives? Car je prépare volontiers des endives au jambon: ce plat a une histoire et un sens particulier pour moi. Il y a quelques années, j’ai invité un ami et collègue du FIFF à la maison, et lui ai préparé ce plat. En le voyant arriver sur la table, il m’a dit qu’il détestait ça! J’étais bien sûr un peu gêné, mais lui ai répondu en souriant qu’il devait au moins goûter ma version. Alors il s’est lancé et… il s’est re-servi six fois!
Verra-t-on des endives au jambon sur l’un des écrans du festival?
Hum… (il réfléchit) Non, je ne crois pas. Je ne me rappelle pas de toutes les scènes de tous les films, mais ceux consacrés à la gastronomie n’évoquent pas ce merveilleux plat. Par contre, la truffe blanche d’Alba est à l’honneur de l’alléchant documentaire «The Truffle Hunters», tandis que de la daube est servie dans la mordante comédie «Adieu Paris», avec Edouard Baer et Benoît Poelvoorde. Il y en aura pour tous les goûts!
Cette année, l’alimentation est au centre du FIFF. Pourquoi?
En 2011, l’année de ma prise de fonctions à Fribourg, j’ai été scotché par une soirée au festival de San Sebastian (ES), qui propose chaque année une section dédiée à la cuisine. Chaque film est suivi d’un repas «accordé» à l’histoire. Après un film tunisien, j’avais dégusté un couscous revisité à la basque: j’ai encore le goût de ce plat dans ma bouche! C’était un moment émouvant, le prolongement dans l’assiette des émotions du film. J’ai voulu recréer ici ce que j’ai vécu en Espagne. Le cinéma et la gastronomie ont tant d’aspects communs!
Lesquels, par exemple?
L’émotion. Ou plutôt, les émotions que ces deux arts font vivre à ceux qui les dégustent. Car à l’instar des cinéastes, les cheffes et les chefs sont des artistes! Ils proposent une ouverture unique sur le monde, que chacun s’approprie ensuite selon son vécu. Ce sont des arts vivants qui nous rappellent - plus ou moins selon les personnes - des souvenirs, des émotions, des proches. L’univers cinématographique a aussi sa gastronomie pointue et son fast-food: pour les initiés et les curieux, il y a le cinéma d’arts et d’essais. Mais de temps en temps, un film d’action américain ou une bête comédie française populaire, ça fait du bien.
La cuisine au cinéma, ça existe vraiment?
Oui! Il y a selon moi deux genres de «cinéma culinaire»: les comédies romantiques un peu banales, dans lesquelles un chef doit gérer son restaurant et sa vie privée. Mais sa copine le largue, alors il comprend ses erreurs, avant qu’ils ne se remettent ensemble et ça se finit à l’eau de rose (rires). Mais il y a aussi les films plus subtils qui abordent l’alimentation de manière indirecte, sur des sujets plus engagés: la grossophobie et les troubles alimentaires, le rapport à l’argent, les relations humaines, la colonisation… Ce dernier point est d’ailleurs l’une des pièces maîtresses de l’édition 2023 du FIFF.
Pourquoi rapprocher colonisation et alimentation?
Un jour, on s’est posé la question «Que mangerait-on si la Suisse n’avait jamais eu accès aux ingrédients du reste du monde?» Les myrtilles, les navets et les noisettes, c’est bien, mais n’est-on pas heureux de pouvoir manger de la tomate, des pommes de terre ou des épices? On les cultive désormais ici, mais il a fallu des siècles pour qu’ils arrivent jusqu’à nous. En cuisine comme dans les autres arts, l’ouverture géographique et culturelle nous a procuré une richesse dingue! On revient de loin en très peu de temps.
Allez-vous intégrer les artisans cuisiniers de la ville?
Nous le faisons depuis longtemps: le Café Culturel de l’Ancienne Gare et Les Trentenaires, par exemple, accueillent les cinéphiles pendant la durée du festival. Cette année, je suis allé mettre à contribution différents chefs de la ville pour leur proposer le même concept qu’à San Sebastian: concocter un repas qui prolongerait le plaisir de l’un des films de la sélection.
Et votre initiative leur a parlé?
Complètement! Affiches de films sous le bras, j’ai frappé à plusieurs portes en me disant que je m’arrêterai lorsque j’en aurais huit. Mais l’engouement a été tel que j’ai continué… jusqu’à 14! Et certains ont de super idées: un enthousiasme qui fait vraiment chaud au cœur. Un chef italien va cuisiner le plat qui apparaît dans «Diario di spezie», un autre a créé une «pizza FIFF».. De son côté, le chef des Trentenaires prévoit une «expérience précoloniale» en utilisant uniquement des matières premières trouvables en Suisse avant la colonisation, pour faire écho à cette thématique qui nous tient à cœur (ndlr: voir deux questions plus haut). Et à la fin du film d’ouverture, «Umami - A taste of happiness» avec Gérard Depardieu et Pierre Richard, les gens auront droit à une surprise. Mais je n’en dis pas plus…
>> www.fiff.ch