Texte: Marc David

C’est le printemps et les fraises sont les bijoux de la saison. Tandis que des taches rouges vives parsèment les campagnes et les vitrines des pâtissiers, quelque part au Pied-du-Jura la productrice Loraine Mange (grande photo ci-dessus), au nom de famille prédestiné, se prépare au mois et demi le plus animé de son année. Dès la mi-mai, avec l’ouverture de l’auto-cueillette, des centaines d’amateurs investissent en effet son domaine d’environ 3,2 hectares de Gollion (VD), le plus grand du canton de Vaud, en laissant parfois leurs poussettes au bout du champ.

Fraise Léguriviera

Environ 40000 plants de fraises par hectare.

Fraise Léguriviera

«Ce sont mes bébés, je les aime, je souffre quand elles souffrent», dit Loraine Mange.

La productrice a repris ce domaine de son père Maurice en 2013. Celui-ci, toujours actif, a eu cette idée de fraises il y a près de 40 ans et «il a eu le nez fin», sourit sa fille. «Ce fut d’abord un petit coin que les dames du village ramassaient, sourit-il, et nous avons pratiqué l’auto-cueillette d’entrée». Puis tout s’est agrandi, jusqu’à compter aujourd’hui environ 40 employés au plus haut point de la récolte, selon les caprices de la météo et toujours à dimension humaine. Les propriétaires s’avouent ainsi ravis quand les bouches des enfants sont d’une belle teinte rouge. Pour Loraine, extrêmement précautionneuse dans son travail, les fraises représentent un labeur de toute l’année depuis la plantation en juillet, à raison d’environ 40000 plants par hectare. «Ce sont mes bébés, je les aime, je souffre quand elles souffrent. C’est un lien particulier, même si honnêtement je n’ai pas envie d’aller en manger. Comme un chocolatier avec son chocolat, je n’en sens même plus l’odeur». Elle n’emploie pas d’herbicide et, sans être bio, respecte toutes les exigences de contrôle de la loi, très stricte avec les fraises.

Fraise Léguriviera

La récolte débute dès 6 h du matin.

Fraise Léguriviera

Pour une belle qualité, il faut éviter les écarts de température.

Pour profiter de la fraîcheur du climat, la cueillette commence à 6 h du matin. Tout est produit et livré le même jour, sans stockage de nuit en frigidaire. Un premier contrôle de qualité a lieu au bout du champ, un deuxième quand les palettes arrivent à la ferme. «Nous travaillons à flux tendu, avec le moins de variation de températures possible. C’est indispensable si on vise une qualité totale.» Tout se termine aux champs vers 13 heures, quand on ne peut plus toucher les fraises, sous peine de les marquer. La productrice favorise la vente directe, sur les marchés, chez les primeurs proches, là où ses fraises sont parfaitement mises en valeur. 

Fraise Léguriviera

Chaque matin, le livreur de Léguriviera vient apporter sa précieuse marchandise au laboratoire du confiseur Christian Boillat, à Saint-Prex.

Direction Léguriviera. Quand Loraine Mange les amène elle-même chez le livreur Léguriviera, à Villars-Sainte-Croix (VD), celui-ci la voit arriver avec plaisir. Il connaît l’excellence de sa marchandise. Responsable des achats, Samuel Lizzola confirme : «Sur notre panel de 4 à 5 fournisseurs, elle sort du lot. Ses fraises ont un gustatif parfait. Les fraises, c’est différent de légumes comme les courgettes ou les pommes de terre. Il s’agit d’un produit fin et sensible, à forte valeur ajoutée. Nous en sommes très friands.» Entre le livreur et les fournisseurs, un dialogue constant est installé. On s’appelle, on s’informe, en sachant combien tout ce petit monde est tributaire de la météo. Chez Léguriviera, cette relation a été initiée il y a plus de vingt ans, quand le fondateur David Lizzola s’est lancé. «A l’époque, il allait même charger directement sa marchandise chez le producteur. A sa manière, il a révolutionné le monde des fruits et légumes», s’exclame Samuel Lizzola, qui est aussi son frère.

Fraise Léguriviera

Pour Christian Boillat, la fraise symbolise le printemps.

Fraise Léguriviera

Réalisation d’un fraisier, pâtisserie hautement appréciée.

Au bout de la chaine, le confiseur Christian Boillat (grande photo ci-dessus) se régale aussi dans son laboratoire de Saint-Prex (VD). Ses 7 enseignes et ses 120 employés ont gardé le sens du beau fruit. «C’est magnifique, une fraise. Pour nous, elle symbolise le printemps, le changement de saison. Elle amène du goût, du soleil, de la couleur dans nos vitrines. C’est une belle période.» A cause de la demande, il commence à en proposer environ deux semaines avant les Fêtes de Pâques, d’abord en se servant en France, puis en se rabattant sur la production régionale dès que la récolte suisse démarre. La variété Cléry, bien dodue, bien calibrée, lui convient. «Pour des tartes, nous recherchons beaucoup de régularité, de l’homogénéité dans la taille des fruits. Le client achète aussi avec l’oeil.»

Fraise Léguriviera

Un fraisier terminé, qui met de la couleur dans la vitrine de Christian Boillat. «La fraise est devenue un produit vedette».

Fraise Léguriviera

Avec son rouge ardent, la fraise est redevenue à la mode. «Le client achète aussi avec l’oeil», lâche Christian Boillat.

Là aussi, pas question de grasse matinée. Le travail commence chaque jour à 5h et demi, à l’arrivée du camion. Tout se passe alors très vite, les premiers fruits partent dès 6h15 vers les magasins. Le flux tendu est aussi la règle. «On travaille les fraises sur deux jours, explique l’adjoint, Mathieu Wermuth, nous devons prendre garde à la chaleur, qui les flétrit vite.» Les fraises sont réparties sur des plaques, pour séparer grandes et petites. Les moins esthétiques, tout aussi bonnes, finissent en brunoises ou en compotées. Christian Boillat, qui a commencé par faire de l’auto-cueillette en accompagnant sa mère, se réjouit du retour en grâce de la fraise: «Elle était un peu oubliée, à un moment donné. Il y a 30 ans, nous ne préparions pas de pâtisseries comme le fraisier. Aujourd’hui, la fraise est devenue un produit vedette». Son rapport avec Léguriviera, avec qui il travaille depuis une quinzaine d’années, est capital. «Davantage qu’un fournisseur, c’est un partenaire avec des valeurs communes.» A l’origine de ce remue-ménage fruitier et délectable, il arrive ainsi à Loraine Mange de jeter un regard sur ses champs vermillon. «Mes fraises, je les aime et parfois je ne peux plus les voir. Mais, devant le décor des mes champs et le plaisir des gens, je me dis que je dois faire le plus beau métier du monde.»

Fraise Léguriviera

Juste pour le plaisir des yeux...

 
Fraise Léguriviera

... la fraise photographiée par Julie de Tribolet...

 
Fraise Léguriviera

... au domaine de Gollion (VD).

Photos: Julie de Tribolet