Texte: Knut Schwander Photos: Kurt Reichenbach
«On a sans doute fait des erreurs», explique Amandine Pivault, la voix blanche, «Là, la conjoncture nous a rattrapés: nous faisons 200 couverts de moins par mois que l’année passée. Ce n’est pas tenable. Alors nous nous sommes endettés. Nous voilà contraint à fermer». Et pourtant, il y a deux ans, c’est avec énergie et enthousiasme que le jeune couple - Amandine, 31 ans, en salle, Antoine Gonnet, 35 ans, en cuisine (grande photo ci-dessus) -, reprenait le célèbre Pont de Brent, sur les hauts de Montreux. Avec une rapidité remarquable, ils ont collectionné points (17/20), étoiles (une) et lauriers (de la part de leurs clients), et maintenu la célèbre table lancée en 1980 par Gérard Rabaey (19/20) dans le peloton de tête des meilleures table des Suisse romande. Que s’est-il passé? Interview.
Le Pont de Brent a fermé. Pourquoi si vite?
La lettre du juge est arrivée ce matin, nous n’avons donc plus le choix. C’est très dur, très émotionnel. Mais c’était devenu inéluctable. On a réfléchi et considéré la situation générale, mais il n’y avait plus d’autre issue.
Pourtant vous avez été plébiscités par les guides et par le public. Que s’est-il passé?
En 2022, tout était bien parti. 2023 s’annonçait plus compliqué. On s’est aussi aperçu que la clientèle d’habitués était en fait moins nombreuse que ce que nous avions espéré. Sans doute avions nous trop misé sur l’aura d’autrefois. Donc, une fois passée la curiosité des débuts, la fréquentation s’est émoussée.
Constatez-vous un changement d’habitudes de consommation dans la grande gastronomie?
Ce qui a changé, ce sont les charges. D’ailleurs on le voit, il y a de moins en moins d’indépendants en mesure de survivre à la tête d’une grande table, sans soutien financier. Puis il y a les problèmes de personnel. Cela dit, nous avons eu beaucoup de chance. Les cinq cuisiniers sont tous de bons gars. Mais ça n’a pas suffi.
Que vont-ils devenir? Et vous aussi?
Nous sommes heureux de savoir qu’ils ont en partie d’ores et déjà trouvé de bonnes perspectives. Quant à nous, il est encore trop tôt pour en parler. Mais nous allons prendre les choses en main.
Si c’était à refaire, que feriez-vous différemment?
Peut-être que nous ne reprendrions pas le Pont de Brent aujourd’hui. Nous avons beaucoup appris. Nous avons l’impression d’avoir pris dix ans en quelques mois qui nous ont fait grandir. Peut-être nous sommes-nous montrés trop ambitieux, trop vite. Nous avons aussi trop investi en matériel et en personnel.
Comment vivez-vous cette situation?
Nous sommes passés par des moments difficiles. Pas toujours les deux au même moment. Avec des phases de colère, de tristesse, de révolte… Nous sortons épuisés de cette période. Avec en plus des dettes considérables que nous mettrons des années à rembourser. Mais on va aller de l’avant.