Le «Sommelier de l'année» 2022 explique la dégustation de vin. Le 28 novembre 2024, le bien nommé Club des Amateurs de Vins Exquis (CAVE) fêtera ses quatre décennies d'existence. Pour marquer le coup, cette société basée à Gland organisera le jour même une grande dégustation (30 francs l'entrée, sur inscription) au Mandarin Oriental, à Genève, suivie d'un repas de gala au même endroit. Une trentaine de vignerons français, italiens et helvétiques (Claudy et Shadia Clavien, le Domaine Simon Maye, Christian et Myra Zündel notamment) seront présents pour faire déguster leurs crus. En attendant, Mathieu Quetglas (en grande photo ci-dessus), «Sommelier de l'année» 2022 au Valrose (18/20) et désormais responsable de la sélection et de l'école du vin au CAVE nous explique comment déguster le vin comme un pro.

 

Mathieu Quetglas, qu'est-ce que cela signifie pour vous, déguster un vin?

Découvrir le travail du vigneron qui l'a créé. De manière intellectuelle, mais surtout sensorielle, en me demandant si j'aime ce vin ou non, quelles impressions il me fait.

 

Comment déguster un vin comme un pro?

Ça commence au stockage, afin de ne pas abîmer les flacons: à l'abri de la lumière et au frais, mais dans un environnement humide, car un air sec endommagera les bouchons. Ensuite, il est important de servir le vin à la bonne température. Un rouge trop frais deviendra alcooleux, alors que le chaud dissimulera les dimensions aromatiques d'un blanc et le rendra plus acide, tranchant. Puis, un regard sur la robe nous donnera des informations sur l'âge et le développement du vin. Le sentir permet ensuite de capter les arômes: avant et après avoir remué le verre. Enfin, on goûte le vin en faisant attention aux sensations qu'il produit au travers des textures et des matières du vin: est-il rond, souple, massif, court, persistant?

 

Pourquoi utiliser le nez alors que l'on goûte avec le palais et la langue?

Le nez joue un rôle clé, car la plupart des arômes sont perçus par la voie rétro-olfactive. Tout le monde a déjà vécu la désagréable sensation, en étant enrhumé, de ne pas percevoir les goûts. Cela démontre l'importance du nez dans le processus de dégustation. Ce que l'on sent, prépare le cerveau à recevoir les informations gustatives et permet d'analyser les arômes plus complexes.

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Mathieu Quetglas a quitté le Valrose en avril 2024. Depuis, il est responsable de la sélection et de l'école du vin au Club des Amateurs de Vins Exquis.

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Le fondateur du CAVE Jacques Perrin (devant) en pleine dégustation avec Mathieu Quetglas.

À table, tout le monde se refile la patate chaude lorsqu'il faut goûter le vin. Pourquoi cela fait-il si peur?

C'est comme dans un karaoké: on a peur de chanter faux, de se donner en spectacle. Avec le vin, on attend de la personne qui goûte de le valider (ou non). Et l'humain a peur de l'échec, de l'erreur, alors que l'objectif de goûter un vin est de vérifier s'il a un gros défaut, ce qui se remarque (assez) facilement.

 

Il y a aussi la crainte que le vin nous plaise, mais que ce ne soit pas le cas pour nos convives?

Tout à fait! Le vin induit l'empathie: lorsque l'on connaît les goûts de nos proches, on peut s'adapter. Si j'aime les vins blancs et pétillants, mais que je sais que mes invités du soir préfèrent les rouges, je sortirai une bouteille de l'un et de l'autre. C'est l'avantage du monde du vin: la palette des possibilités est infinie!

 

Il faut aussi savoir ce que l'on apprécie soi-même.

Connaître ses propres goûts est un apprentissage au long cours. Et il est primordial de prendre le temps de mettre des mots sur nos impressions, nos émotions, nos préférences. C'est là où le travail des sommeliers est passionnant. Ils aident à comprendre les envies de chacun, afin de s'en approcher au plus près. En se laissant accompagner, au restaurant ou lors d'ateliers adaptés, comme ceux que nous organisons au CAVE, l'épicurien cible petit à petit ce qui lui plaît.

 

Pourquoi tourner son verre avant même de sentir le vin?

Ce fameux mouvement permet de libérer les arômes du vin et de l'aérer. Je compare ce geste à celui de secouer une boîte de bonbons, ce qui permet de faire virevolter les arômes des bonbons et leur donner leur plein potentiel. Selon où l'on a rangé le verre, il peut prendre un goût particulier, de carton par exemple: faire tourner le vin permet d'y remédier.

 

Parlons du verre, justement. Il y en a mille formes, est-ce vraiment important de changer de verre selon le vin?

Le vin ne va pas changer diamétralement selon le verre, l'importance de ce dernier n'est pas capitale. Mais une forme ouverte donnera tout de même un vin plus aromatique. Avec un cépage oxydatif, par exemple, un verre refermé sur le haut sera adéquat et évitera de «casser» le vin. Un jeu intéressant à faire à la maison, c'est de goûter le même vin dans des verres différents. C'est ludique et on se fait facilement surprendre!

 

On nous présente souvent les vins avec beaucoup de vocabulaire technique. Est-ce vraiment pertinent pour Monsieur et Madame Tout-le-Monde?

Tout dépend de ce à quoi on s'intéresse. Lorsque je conseille quelqu’un, je trouve pertinent d'entrer dans des détails de sols ou de terroirs si cela peut lancer un échange. Mais si j'estime que la personne en face de moi n'y accorde que peu d'intérêt, je ne l'embête pas avec cela. Pour moi, il est plus enrichissant de parler de la dimension humaine, l'histoire du vigneron, ce qu'il y a autour du vin, que de sa dimension trop technique. 

 

Parlons accords mets-vins, devenus la norme dans les restaurants gastronomiques. Comment en profiter au maximum?

Ne pas hésiter à échanger avec le sommelier lors de l'apéritif. Cela lui permettra de cerner vos préférences en la matière et de vous guider au mieux. Peut-être choisira-t-il de rester sur la trame décidée pour l'accord, ou se permettra-t-il de choisir d'autres vins afin de coller au mieux à vos goûts. Lorsqu'un client donne carte blanche, c'est un régal!

 

Ces accords sont aussi devenus un argument marketing, non?

Je ne suis pas d'accord. C'est plutôt une liberté laissée aux sommeliers, pour suivre avec ma réponse d'avant. C'est une manière pour nous de révéler l'essence de la cuisine de nos chefs de cuisine.

 

Tout est-il possible en matière d'accords mets-vins, ou y a-t-il une manière de déceler les ratés?

Pour moi, un bon accord doit être varié. En termes de terroirs, de cépages, de styles et d'années. À moins qu'il y ait un intérêt marqué pour un seul vigneron, par exemple, je ne conseille pas de se lancer dans un accord avec deux cépages, trois millésimes et deux vignerons identiques.

 

Il existe aussi des dégustations «verticales», à savoir le même vin, mais dans des millésimes différents. Le millésime change donc vraiment le goût d'un vin?

Oui, beaucoup. La terre donne chaque année des raisins différents, et ces écarts se retrouvent dans le vin, parfois ils sont même plus marqués. Se plonger dans l'historique des millésimes permet de mieux comprendre pourquoi tel vin est comme il est. C'est une formidable machine à voyager dans le temps!

 

Honnêtement, est-ce qu'on en fait pas trop avec le vin?

Parfois oui, on en fait des caisses. Mais une des choses qui fait le charme du monde du vin, c'est sa part de mystère, de poésie. Alors pourquoi pas?

 

Un dernier conseil pour bien déguster un vin?

On propose souvent le vin meilleur à la fin du repas, parce qu'il a eu le temps de s'ouvrir. S'il est possible d'anticiper la dégustation, je conseille de déboucher les bouteilles ou de carafer le vin deux ou trois heures en avance. Le rouge, mais le blanc aussi!

 

Pour terminer, Mathieu Quetglas, un coup de cœur du moment?

J'ai découvert récemment un chiavennasca (un autre nom du nebbiolo) produit par le domaine Dirupi, dans la Valteline (Italie du Nord). Ces vignerons travaillent sur des pentes raides, dans des conditions assez extrêmes. Ils offrent un vin frais, floral, singulier, qui change des autres que l'on peut déguster dans la région. Parfait pour cette saison automnale!

 

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Photos: CAVE SA