Texte: Siméon Calame | Photos: Hôtel DuPeyrou

Une saison très attendue. Chaque automne, c’est la même rengaine pour beaucoup de restaurateurs: il faut proposer de la chasse différemment afin de surprendre ses clients. À Neuchâtel, Edmond Bavois sort du lot cette année avec son menu 100% chevreuil sauvage suisse, servi aux tables de l’Hôtel DuPeyrou (15/20). En quatre plats et avec de gourmands amuse-bouches, l’Ardennais d’origine fait le tour complet de l’animal star de la saison. Interview.
(Grande photo ci-dessus: le médaillon de selle et gigue de chevreuil, et la terrine de chevreuil au foie gras)

 

Edmond Bavois, pourquoi créer un menu entièrement autour du chevreuil suisse?

Je viens d’une famille de chasseurs et cette période est un incontournable en Suisse. Cela m’a toujours surpris de voir à quel point les Helvètes sont friands de ces spécialités, bien plus que partout ailleurs! Il me tenait donc à cœur d’élaborer quelque chose de spécial pour cette période en mettant particulièrement en avant la chasse sauvage et locale. De plus, se concentrer sur un seul animal permet d’en découvrir toutes les facettes, en valorisant toutes les parties de l’animal.

 

Pourquoi le chevreuil en particulier?

Car les chasseurs n’ont pas le droit de chasser le cerf, et les autres espèces sont présentes en de trop faibles quantités. Pour donner un ordre de grandeur, nous avons obtenu seulement quatre chamois l’année dernière, alors que nous avons besoin d’une soixantaine de chevreuils pour tenir la saison.

Chasse 2023 Edmond Bavois Hôtel DuPeyrou Neuchâtel

Fines tranches de chevreuil à la truffe vaudoise, pomme Boskoop et feuilles de câpres marinées.

Chasse 2023 Edmond Bavois Hôtel DuPeyrou Neuchâtel

Le chef Edmond Bavois (d.) a beaucoup appris à propos de la chasse grâce à son directeur de restaurant Guillaume Toupance (g.).

Chasse 2023 Edmond Bavois Hôtel DuPeyrou Neuchâtel

Tarte à la courge butternut et aux läckerlis, chocolat et sorbet aux feuilles de figue.

D’où proviennent ces animaux?

Nous avons commencé avec les fribourgeois, car c’est le premier canton à ouvrir la saison de la chasse. Nous travaillons actuellement avec les neuchâtelois et commençons à recevoir certains chevreuils vaudois, canton où la saison débute un poil plus tard. 

 

N’est-ce pas difficile de trouver du gibier sauvage helvétique?

Il est indispensable d’avoir un bon réseau parmi les chasseurs, et nous avons cette chance-là. Guillaume Toupance, le directeur du restaurant, est lui-même chasseur et a ses entrées. Mais outre cela, la disponibilité dépend aussi de ce que l’on cuisine: à ne travailler que les selles, il est évident que le gibier helvétique est insuffisant. Un chasseur ne rentrera d’ailleurs pas en discussion avec un chef qui ne souhaite cuisiner que les parties nobles de l’animal.

 

Vous parlez d’utiliser toutes les parties de l’animal, mais comment les cuisinez-vous?

Je les propose en amuse-bouches ou en entrées: une terrine, un cromesquis, un feuilleté aux champignons et gibier… Pourquoi pas un pithiviers pour deux personnes, à découper en salle? Et même si ce sont de petites portions, je mets un point d’honneur à ce que ce soit de véritables plats et que le client puisse découvrir les saveurs propres de ces morceaux. Valoriser ces parties ne signifie pas uniquement les travailler, mais aussi les faire découvrir aux clients.

Chasse 2023 Edmond Bavois Hôtel DuPeyrou Neuchâtel

L'Hôtel DuPeyrou fut construit entre 1765 et 1771. Dans les cuisines, Edmond Bavois a succédé à Craig Penlington en été 2022.

Chasse 2023 Edmond Bavois Hôtel DuPeyrou Neuchâtel

Chaque client est invité à visiter la petite cave à fromages, où une cinquantaine de pièces sont présentées.

Comment réagissent-ils?

Ils sont contents de goûter quelque chose qu’ils ne connaissent pas. Certains plats, un peu forts, les surprennent. Mais c’est justement cela que nous recherchons: il faut parfois bousculer les papilles des clients.

 

Serait-il possible, dans un restaurant gastronomique, de servir un menu de chasse axé uniquement sur les parties moins nobles?

Guillaume pense que dans quelques années cela sera possible. Je ne suis pas du même avis, car cela reste un point de repère important pour une clientèle qui a besoin d’être rassurée. C’est un peu comme la décoration d’un restaurant et le service: certains critères sont indispensables. Par exemple, même si un serveur en jean déchiré et t-shirt fluo bousculerait les codes et pourrait faire réfléchir, on ne verra jamais cela à une table gastronomique.

Votre carte comprend beaucoup de fruits. Pourquoi cela?

À l’instar des surprises que peuvent apporter la puissance des abats dans un plat, les fruits déposent leur acidité, leur sucrosité ou leur amertume, ajoutent des textures… Ce sont des paramètres importants dans un menu, et la chasse est un super terrain de jeu pour cela. Ce n’est pas pour rien qu’on a l’habitude des marrons caramélisés et de la confiture d’airelles.

 

Jusqu’à quand proposerez-vous ce menu 100% chevreuil sauvage suisse?

Tout dépend de la disponibilité des animaux… Mais je pense que nous conclurons la saison aux alentours de la fin-novembre.

 

>> www.dupeyrou.ch