Photos: Gabriel Monnet
Au menu, des feuilles de vigne, que Pauline Seiterle a cueillies à Auvernier (NE), où vit sa mère. «C’est un essai, sourit-elle, je les ai prises en mai-juin, quand elles sont encore tendres, et je les ai conservées en saumure pour donner un côté acidulé au riz.» Elle a choisi du riz rond, des tomates, du citron et des herbettes qui poussent sur son balcon. Elle possède un bon couteau et chérit lors d’autres occasions la cuisinière électrique rouge qu’elle utilisait, petite fille, chez sa grand-maman.
Cuisinière impulsive! Du haut du plafond, une araignée étonnée observe Pauline Seiterle s’agiter avec méthode dans sa cuisine de Préverenges (VD). Outre l’animation de la sophistiquée machinerie dominicale que représente la mythique émission de radio Côté jardin (anciennement Monsieur Jardinier), la demoiselle de Rochefort (NE) jongle avec deux jeunes enfants, dont un bébé de 4 mois, et selon les exigences d’une imagination foisonnante en matière de gastronomie. «Je suis quelqu’un de très organique, je me laisse aller à mes impulsions.» Capable d’inventer en quelques minutes une splendeur avec quelques restes, elle dévore les livres de cuisine et aime définitivement inventer, avec le bonheur sans cesse renouvelé de la technique culinaire à explorer.
De quand date cet amour de la cuisine?
J’ai toujours aimé manger. Petite, je n’étais pas très joueuse, mais j’aimais vivre avec mon papa et ma maman, qui travaillait à domicile comme couturière, une chance. J’aimais voir ce qu’ils faisaient. La table était l’occasion d’écouter et, pour moi qui suis bavarde, de mener mille échanges sociaux en famille. J’aimais les discussions d’adultes, les débats. Je pouvais donner mon opinion, ce qui n’était pas toujours facile à l’école.
Vous mangiez de tout?
Oh oui. Je pense même qu’on a dû pas mal me valoriser pour cela et que cela a renforcé mes habitudes alimentaires. Nous n’avions pas de potager, mais un voisin m’avait prêté un petit carré de son jardin. J’avais mes radis et mes carottes, j’y allais le soir après l’école, je passais des heures à leur parler.
Et dans la cuisine?
J’ai toujours trouvé magique cette espèce d’alchimie, de transformation, d’expérimentation. J’avais un père qui cuisinait avec passion: le dimanche, à un moment donné, il se mettait aux fourneaux et prenait du temps pour faire de bonnes choses. J’avais aussi une grand-mère qui préparait des plats de façon créative, avec goût et plaisir, jusqu’à se relever la nuit pour confectionner de somptueux club-sandwichs. Quand j’allais chez elle, j’avais une petite cuisinière électrique pour moi, je pouvais tout faire seule. C’était un peu dangereux mais on me faisait confiance. Je me souviens avoir fait rôtir des flocons d’avoine dans du beurre avec du sucre. Du souvenir fort en observant combien tout se caramélise et se transforme.
Des plats vous suivent-ils?
Pas tant que cela, car je ne cuisine jamais deux fois pareil… Je n’ai pas de religion, en rien. Celle de l’huile d’olive, par exemple, m’agace. L’huile de colza ou de tournesol est très bien aussi.
Appréciez-vous la viande?
J’ai arrêté de manger de la viande rouge à l’âge de 8 ans. Par dégoût: je ne pouvais plus en avaler, même si j’ai continué avec le poulet ou le poisson. En même temps, cette décision m’a stimulée, j’ai essayé d’adapter les recettes en utilisant autre chose. Cela dit, quand un chef comme Claude Frôté me tend un morceau cru de bœuf simmental, je le mange. Cela me paraît une évidence, je peux tout à fait concevoir de goûter.
Quels pays vous inspirent?
Beaucoup de ma cuisine est inspirée d’Asie, avec une passion pour le Japon et sa géniale recherche de l’umami. A Tokyo, j’ai suivi un cours de confection de soba, ces nouilles froides ou en soupe. J’en apprécie la simplicité, les ingrédients de bonne qualité, très condimentés, pas forcément mijotés pendant des heures. De petites aubergines rôties au beurre et un peu de miso: génial!
En fait, vous êtes une aventurière…
J’aime expérimenter, je me lance des challenges. Par exemple essayer de remplacer un produit que je n’ai pas envie d’acheter en magasin. Le côté technique me stimule. Un exemple? Les baklavas me fascinent. Comment préparer la pâte filo? Plutôt comme en Bosnie (c’est à peu près la même recette dans tout le sud-est de l’Europe), où on étire finement la pâte sur toute la table, comme on le ferait pour l’Apfelstrudel? Ou comme en Afrique du Nord, avec des ronds de pâte empilés, saupoudrés de fécule et abaissés ensemble? Je prépare aussi beaucoup de pain et de lactofermentations. Etudier les méthodes de conservation me plaît.
Comment parvenez-vous à préparer des plats avec un quotidien aussi rempli?
J’ai l’avantage d’avoir été «drillée» depuis toujours. Je sais qu’il est possible de faire de bonnes choses en peu de minutes. Tac-tac, j’utilise à fond le temps que j’ai à disposition. Et je cuisine beaucoup, toujours deux repas par jour.
Comment votre enfant s’alimente-t-elle?
Mara, qui a 3 ans, m’aide beaucoup. Elle coupe les oignons, bien sûr pas avec les couteaux les plus aiguisés. Elle goûte à tout. Dès 6 mois, elle a pu manger par elle-même des aliments assimilables facilement, selon la méthode DME (diversification menée par l’enfant), tout en exerçant son toucher, son odorat, en utilisant ses lèvres. Cela lui a permis de découvrir la nourriture sans mixer céréales, protéines, féculents. On suppose que pas mal d’allergies alimentaires sont dues à ce mélange sans que l’enfant ait pu percevoir chaque aliment séparément. Cela permet aussi de l’avoir à table avec nous et de l’associer tout de suite, même si elle en met partout jusqu’au plafond…
Son frigidaire. Si friande d’expériences, Pauline Seiterle connaît toujours par cœur ce qu’il s’y trouve. «Je sais ce que j’ai et ce qui me manque. J’y réfléchis toute la journée, au gré de mes envies. C’est pour cela que ce n’est pas facile de cuisiner avec moi. Je fonctionne seule.» Qu’y voit-on aujourd’hui? Du miso, des pickles, des câpres au sel, de la purée de gingembre, des umeboshi de mirabelles. «Je ne jette quasi rien», conclut-elle en refermant ce frais musée culinaire.
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