Ces pâtés-oignons. Les jours de marché à Rive, au cœur de Genève, la foule se presse sur les étals extérieurs et s'agglutine dans les étroites allées du marché couvert de la Halle de Rive. Devant certains stands emblématiques, l’attente s’éternise parfois. C'est le cas de celui de Romain Pellet (grande photo ci-dessus), charcutier-traiteur, Meilleur ouvrier de France (MOF). Ici, pas de doute, depuis 2019, c'est lui le maître local incontesté du pâté en croûte.
Saucisses délices. Sur ses étals, une multitude de délices à s’offrir: boudins, saucissons, longeoles, entremets salés, mais aussi bien entendu des pâtés genevois, vendus par centaines chaque jour. «Ici, nous travaillons un produit pur sans nitrite, sans colorant, assure fièrement l'artisan. Même les mélanges d’épices, pour la merguez par exemple, sont faits maison afin d'avoir notre propre signature». Tout, jusqu'au fumage et au séchage des viandes et des saucisses, est effectué par ses soins.
Les petits pâtés genevois se vendent…comme des petits pains.
La charcuterie, c'est aussi l'art de ne rien gaspiller: ici, le pressé d'oreilles de cochon.
Pâté-croûte ou pâté en croûte? Mais ce qui attire peut-être encore davantage les gourmands, ici, ce sont ses pâtés en croûte. A moins qu'il ne s'agisse de pâtés-croûte? «Pâté-croûte ou pâté en croûte, c’est le combat pain au chocolat contre chocolatine, explique Romain, rieur. Moi je dis pâté-croûte». Ce sont les stars de la maison. Il y en a toujours six ou sept différents en vitrine: le Richelieu à la volaille, le tout-cochon, le canard confit et figues moelleuses… Sans oublier d'autres recettes qui varient au fil des saisons. En ce moment, Romain Pellet propose un pâté-croûte parfumé à la bière brune. Chaque année à Noël, il ressort son incontournable oreiller de la Belle Aurore, impressionnante variante du pâté-croûte au format XXL. Pour ce monument gastronomique, imaginé par Brillat-Savarin, pas de règles précises, mais un impératif: au moins une dizaine de viandes différentes - douze en l'occurrence - principalement du gibier.
Romain Pellet propose toujours 6 à 7 pâtés-croûte différents, plus d'autres en fonction des saisons.
Il n'y a pas que de la viande: ici, une terrine à la courge.
Des maths aux pâtés. Romain Pellet et la charcuterie, c'est au départ un choix par défaut. Il raconte avoir eu le déclic grâce…aux mathématiques, et à une équation particulièrement retorse. «Je me suis dit qu’il fallait que je trouve quoi faire de ma vie, et que ce ne serait pas les maths!», plaisante-t-il. Ses parents lui suggèrent alors le métier de charcutier-traiteur, à lui qui adore la cuisine. Il accepte, et le voilà apprenti dans un commerce de quartier de sa Valence natale.
Passion MOF. Romain Pellet a ensuite gagné Annecy, où il a travaillé pour la maison Pauvert, véritable «usine à MOF» avec quatre lauréats depuis 1991. Son mentor, André Fouanon, possède lui aussi le col au liseré tricolore si difficile à obtenir. Comme un virus contagieux, la passion est transmise à Romain Pellet, qui rêve dès lors de devenir lui aussi MOF, un jour. En 2011, il tente une première fois le concours et se retrouve en finale avec d'autres pointures bien connues en Suisse romande, notamment Fabien Pairon (Auberge communale du Mont-sur-Lausanne, 14/20), Fabien Foare (Millenium à Crissier, 15/20), et Christian Segui, chef exécutif de l’Ecole hôtelière de Lausanne. Un premier essai non concluant, qu'il a transformé avec succès en 2015, en même temps que les pâtissiers Christophe Renou et Julien Boutonnet. «Nous célébrerons ensemble nos dix ans de MOF très prochainement», sourit le traiteur, qui a également enseigné durant six ans à l'EHL avant de reprendre ce stand à la halle de Rive.
Le concours pour devenir Meilleur ouvrier de France est d'une impitoyable difficulté. Romain Pellet a décroché son col tricolore en 2015, quatre ans après un premier échec.
Ne cherchez pas de jambon rose fluo: ici, tout est sans nitrites, et sans colorants.
Traiteur-dragueur. Si la charcuterie est aujourd'hui tendance, notamment sur les réseaux sociaux, cela n'a pas toujours été le cas. «Quand j’ai commencé, c'était un peu has-been. Pour draguer, je parlais plutôt de mon côté traiteur», se remémore le chef. Mais il convient que depuis, la formation de charcutier-traiteur est revenue en odeur de sainteté: «Il faut dire que c’est un métier polyvalent, ni monotone ni ennuyeux, qui englobe de nombreuses techniques culinaires».
Le cœur léger. Aujourd'hui, il assure «avoir à cœur d'alléger ses recettes», par exemple en réduisant le sel. Pour compenser la perte de saveur, ses préparations sont marinées plus longuement. Le MOF privilégie en outre l’ajout de jus de viandes réduits, pour accentuer les goûts. Pour le moelleux, que l’on associe traditionnellement au gras, Romain préfère jouer sur des viandes cuites à très basse température, confites dans leurs jus. Autant de techniques qui rappellent que la charcuterie évolue encore de nos jours.
Des ambitions? Après six ans à son compte, le fringant chef d’entreprise se dit pleinement épanoui: «Je ne renoncerai pour rien au monde à mon indépendance: c’est la liberté!». Dans un coin de sa tête, trotte encore la passion des concours, avec l’envie - pourquoi pas - de participer au Championnat du Monde du Pâté-Croûte. Le chef, qui maîtrise aussi la langue de Shakespeare, s’évade aussi de temps en temps, pour donner des cours à l’étranger: «Je reviens de Singapour. Ce sera Londres en juin, puis Macao. J’adore voyager». Romain rêve aussi de développer des ateliers de charcuterie destinés aux gourmets, professionnels ou amateurs, et d'accroître ses partenariats avec les restaurateurs locaux. On en salive d'avance.
Le stand de Romain Pellet aux Halles de Rive, à Genève
Photos: Nouhad Monpays, Romain Pellet