Privés de dessert. Au diable la tradition, commençons par le dessert. À Gueuleton, à Crans-Montana, il n'y en a pas eu! C'est que l'heure avançant, nous, pauvres habitants de la vallée, avons dû quitter les hauteurs de la station valaisanne et regagner la gare au plus vite. Notre légère frustration a rapidement fait place à un constat: nous nous étions tellement régalés (et empiffrés) qu'une douceur aurait été superflue. Quoique…
(Grande photo ci-dessus: une côte de bœuf et une partie de la salle, avec l'espace gril Josper)

Gueuleton Crans-Montana

Deux bulles très confortables accueillent chacune jusqu'à dix convives pour manger une fondue avec les fromages de l'affineur star Claude Luisier.

Fromages de Luisier. Inaugurée le 14 décembre, la toute nouvelle adresse de Gueuleton, les «repaires des bons vivants» à succès en France, est la deuxième en Suisse, après Carouge. On y retrouve les classiques de la cuisine canaille hyper franchouillarde: côtes de bœuf, charcuteries, tartines, os à moelle… Sauf que la philosophie de l'entreprise privilégiant le kilomètre zéro (ce qui lui évite de tomber dans le piège des chaînes de restaurants), on trouve ici nombre de vins et de produits valaisans: viandes d'exception de la boucherie du Rawyl à Montana, fromages de la star Claude Luisier, etc. Rien que du très sérieux, donc. À noter, enfin, que le restaurant dispose de deux bulles à l'extérieur pour manger une fondue, et qu'il recevra bientôt une vaste armoire de maturation («perdue lors de la livraison», nous a-t-on dit), qui ne manquera pas d'être l'attraction de la salle.

Gueuleton Crans-Montana Chef Jérémy Samper

À 27 ans, le chef Jérémy Samper, originaire de la région de Montpellier, relève ses coudes, et un nouveau défi.

Gueuleton Crans-Montana

Anti-gaspi et délicieux, les cromesquis de pied de cochon, croustillants dehors, et bien fondants dedans, avec la béarnaise maison.

Comme au rugby. Manger chez Gueuleton, c'est une expérience en soi. Plus qu'ailleurs, ici on comprend réellement ce que signifie un repas gourmand, généreux, copieux, et chaleureux. La plupart des plats sont à partager et arrivent sur la table dans leur ustensile de cuisson, si bien que chacun se sert comme à la maison. Un travail collectif! Forcément, chaque convive y va de sa petite recommandation, et l'on se retrouve avec une table qui prend des airs de cornucopia (corne d'abondance). Va pour le foie gras du chef, c'est Noël après tout. Mariné au cognac et cinq-baies, c'est une époustouflante entrée en matière - à tel point que la compotée d'oignons a dû attendre la fin des entrées pour connaître son sort. On croque quelques cromesquis, préparés avec des pieds de porc, et ce, afin de valoriser toutes les parties des carcasses, comme nous l'avait confié le chef de l'adresse carougeoise, Anthony Amoiel. Très gourmands et croustillants avec leur enveloppe bien frite, ils finissent dans une sauce béarnaise maison tiède et bien équilibrée. Et parce que jamais deux sans trois, on s'autorise aussi une poêlée de cœurs de canards, coupés assez fins, avec un succulent jus de cuisson sirupeux. Décadente entrée en matière.

Gueuleton Crans-Montana

Le four Josper a déjà fort chauffé depuis l'ouverture! Il faut dire que les côtes de bœuf sont très demandées.

Gueuleton Crans-Montana

Le coffre de canette et ses pommes de terre sautées… à la graisse de canard, évidemment.

Karadoc. On passe ensuite aux viandes, cuites sur un luxueux et rutilant gril Josper, ouvert sur la salle. Des côtes de bœuf de Simmental, Hérens et Angus, à divers degrés de maturation, étaient proposées sur une ardoise lors de notre venue. Notre choix se porte plutôt sur un coffre de canette entier, impeccablement rosé, avec une peau croustillante. Servi avec une purée truffée de pommes de terre et céleri, c'est d'une gourmandise sans nom. Curieux, nous prenons également une poire de coin, petit muscle méconnu du bœuf, que les bouchers gardent jalousement. Servi saignante, comme il se doit, la poire sait conserver suffisamment de fibres pour une mâche agréable et un rapport qualité prix tout à fait intéressant (39 francs). Évidemment, impossible de faire l'impasse sur l'embeurrée de pommes de terre, une purée à la teneur en beurre interdite par tous les traités internationaux et dans laquelle on creuse vite un cratère qu'on remplit de jus de viande, fourni dans une petite casserole. À ce moment, c'est un tel plaisir qu'on n'est plus au restaurant, mais au banquet de la cour de Kaamelott, assis à côté de Karadoc de Vannes.

 

Convivial. Bien qu'il semble avoir été quelque peu dépassé par ce premier soir plein à craquer, le personnel de salle est resté attentif et chaleureux, sans courbette ni génuflexion. Un sens de l'attention qui s'est également ressenti avec les conseils en vins du chef sommelier Maël Puech, prêt à recommander de belles pépites, quand bien même celui-ci dispose d'une confortable cave remplie d'étiquettes prestigieuses. L'amour du métier, que voulez-vous. Mais le détail qui nous a paru le plus représentatif d'un pari réussi, c'est peut-être la clientèle, en bonne partie féminine. La preuve que Gueuleton, avec sa cuisine et son image soignées, est bien davantage qu'un repaire de vieux mâles alpha carnassiers: c'est une adresse qui transpire la convivialité. La vraie.

 

Le restaurant Gueuleton à Crans-Montana

 

Photos: Gueuleton, Fabien Goubet