Texte: Siméon Calame | Photos: Julie de Tribolet
Du tout grand art. De lui, on ne connaît que ses délicates créations. Et son humilité, si l’on a la chance de le croiser au lounge de l’Hôtel Valrose vers 11h, lorsqu’il vient remplir le chariot de desserts en précisant qu’il «ne fait que des gâteaux». Mais ses «gâteaux» ne sont pas juste des gâteaux, non. Tout comme ses desserts à l’assiette, les pièces présentées dans cette mignonne vitrine à roulette sont plus proches d’un Printemps de Vivaldi ou d’une Vénus de Milo comestibles. Lui, c’est Josselin Jacquet, chef pâtissier du Valrose (18/20), à Rougemont. Et depuis la fulgurante ouverture du 23 juillet 2021, c’est à l’homme de 31 ans que Benoît Carcenat, «Cuisinier de l’année» 2023, a placé sa confiance sucrée.
(Grande photo ci-dessus: Josselin Jacquet à la Table du Valrose)
La tarte renversée. «Entre Josselin et moi, je peux parler de coup de foudre professionnel, lâche Benoît Carcenat en adressant un clin d'œil à son binôme. Depuis notre rencontre à l’Hôtel de Ville de Crissier en 2011, je n’ai jamais connu une aussi belle entente avec un collègue, et cela va bien plus loin que la cuisine.» Son premier souvenir avec le Savoyard d’origine? «C’était trois semaines après son arrivée à Crissier: il devait préparer une tarte aux pommes pour un clip publicitaire que le chef Benoît Violier tournait l’après-midi, se souvient «Benoît II». Peu avant de devoir l’envoyer, elle s’est cassé la figure et Josselin a un peu paniqué. Je suis allé l’aider pour en refaire une en urgence, et on a bien rigolé!» À l’évocation de l’anecdote, le pâtissier se plie en deux de rire et son chef l’accompagne d’une tape sur l’épaule. C’est amusant et touchant à voir.
Des parents infaillibles. C’est ainsi naturellement qu’au printemps 2021, le «Meilleur Ouvrier de France» 2015 a appelé Josselin pour faire l’ouverture de ce qui deviendra un ovni sur la planète gastronomique romande. «Le premier plan était de partir à Hong-Kong, mais le covid a déjoué mes plans, rappelle l’orfèvre du sucre. Puis, au Valrose, cela ne devait durer que deux mois, pour «donner un coup de main». On arrive bientôt à deux ans et j’espère que cela continuera longtemps!» Un collègue et un ami pour son chef. Mais aussi un fils, pour Roland et Sandrine: «Josselin s’est mis très tôt à la pâtisserie, en me regardant préparer des gâteaux, se souvient sa mère. Il a décidé d’en faire son métier après un stage effectué à l’école.» Une formation suivie à Aix-les-Bains puis à Annecy, à une quinzaine de kilomètres de la maison familiale. «Durant trois ans, mes parents se sont levés à 5h du matin pour m’emmener au travail, sourit fièrement l’intéressé. Je ne les remercierai jamais assez pour tout ce qu’ils ont fait pour moi.»
La forêt-noire interdite. Après sa formation, Josselin a travaillé plus de deux ans à l’Hôtel Martinez, à Cannes, où il a fait la connaissance de son chef David Bonet. Ce dernier se souvient de la persévérance dont faisait preuve l’adolescent: «C’était un adolescent frêle mais qui n’avait pas froid aux yeux, il osait se remettre en question et n’hésitait pas à rester après les heures pour apprendre encore et encore, se souvient celui qui est actuellement directeur des opérations pour le groupe Lenôtre en Thaïlande. Lorsque je vois le parcours qu’il a accompli et les desserts qu’il sort aujourd’hui, je prends une claque!» De ses débuts, justement, Josselin retient la forêt noire, qu’il se réjouissait de manger chez sa grand-maman, «parce que papa n’aime pas le chocolat», précise-t-il presque en chuchotant.
Une dernière impression… réussie! Est-ce pour cela que le dessert aux cerises préservées trône en pièce maîtresse dans le chariot de desserts de ce début de printemps? Peut-être. En tous les cas, c’est une véritable bombe gustative très régressive. Car l’ancien chef pâtissier de l’enseigne Gerber-Wyss (15/20), à Yverdon-les-Bains, fait la différence entre entremets pour le goûter et dessert de fin de repas, à l’assiette. «On ne peut pas trouver mieux que les desserts de Josselin comme dernier lien entre la cuisine et les clients, assène Benoît Carcenat. Il a une place compliquée, car il ne faut pas finir un repas sur une note trop lourde, mais il la prend avec panache.» Sourire en coin, le chef étoilé réfléchit au dessert de son pâtissier qu’il a préféré: «En automne 2021, son alliance chocolat-mucilage m’a laissé une immense émotion, lâche-t-il. La pomme au foin aussi. La fraise de l’été dernier m’a fait pareil. Même ressenti pour la vanille cet hiver.»
L’équipe dont tout le monde rêve. La poire au citron Meyer, qui clôt le onzième menu du restaurant situé aux abords de la gare de Rougemont, est symbolique de la finesse et de la précision dont fait preuve Josselin Jacquet. Couleurs, textures, esthétique, show en salle, surprises: tout y est. Sauf le sucre, et c’est ce que l’on apprécie chez lui. «On peut apprécier un dessert pour sa douceur, mais on peut aussi le savourer pour ses saveurs sans surdoser le sucre, expose-t-il. Je suis plutôt de la deuxième catégorie, mais c’est un sujet que l’on discute beaucoup en équipe, avec Pierre et Antoine.» Pierre Goubil et Antoine Ménage, ses adjoints sucrés, sont tout aussi discrets que leur chef. Mais ils assurent que travailler aux côtés de Josselin est une chance et qu’ils apprennent énormément de sa sensibilité. «Sans eux, je ne ferai rien», conclut l’homme dans un sourire. S’il fallait encore un exemple de l’humilité du pâtissier aux mains d’or.