Propos recueillis par Siméon Calame | Photos: Sedrik Nemeth

Vendredi 21 avril 2023, 22h06. À l’Hôtel Terminus (17/20), à Sierre, Didier de Courten entre dans la salle du restaurant sous les applaudissements de 62 clients. Un moment qui dure longtemps. L’instant est riche en émotions: celui qui court Sierre-Zinal en moins de trois heures vient de conduire son dernier service entre les murs du Terminus, établissement qui l’a vu apprendre son métier puis tutoyer les étoiles. Après 15 ans à 19/20 et un titre de «Cuisinier de l’année» en 2005, Didier de Courten et son épouse Carmélina ont ralenti le rythme en 2020 avant de définitivement cesser leur activité sierroise. Avant que le membre des Grandes Tables de Suisse ne débute sa nouvelle aventure de consulting avec les Remontées mécaniques de Grimentz-Zinal, vendredi soir a signé le «happy end» d’une jolie aventure. Et pour une fois, le chef a fait le tour de salle. Interview entre rires et larmes.

 

Didier de Courten, vous venez de passer votre dernier service dans les cuisines du Terminus. Comment s’est-il déroulé?

Il y a eu de l’émotion. En cuisine, tout s’est passé comme d’habitude car nous avons voulu tenir la même ligne jusqu’au bout. Mais c’est en salle que cela s’est «compliqué». En entrant dans la salle, les applaudissements des 62 clients ce soir-là m’ont touché. Puis, échanger avec eux fut intense. Un homme m’est tombé dans les bras en pleurant! Il vient régulièrement depuis 18 ans et ce soir, sa femme ne pouvait malheureusment plus venir mais lui n’a pas hésité une seconde. Et ça lui fait quelque chose que nous arrêtions.

 

Et à vous, qu’est-ce que cela fait-il?

J’ai commencé mon apprentissage ici au Terminus le 2 juillet 1984 avant d’y revenir en 2005 pour dix-huit ans. Je suis attaché à ces lieux, à cette histoire que mon épouse Carmélina et moi avons créée ici. Je mentirais si je vous disais que j’éteins les lumières ici sans aucun frisson. D’une certaine manière, nous quittons des amis. Car les clients qui viennent nous voir depuis des années n’en sont plus: ils sont de vrais amis que nous nous réjouissons de revoir lorsque nous lisons leurs noms sur le carnet de réservations.

 

Vous avez pu tous leur dire au revoir ces dernières semaines?

Oui. Que ce soit au restaurant, à l’Ampelos (ndlr: le bar à vin du Terminus) ou ailleurs, je crois que nous avons pu prendre un moment avec chacun. Ce furent des mois très intenses à tous points de vue.

Sierre, le 21 avril 2023, Didier de Courten, donne son dernier service à l’hôtel re3staurant le Terminus, 19 points au Gault&Millau, avec sa femme Carme Sedrik Nemeth

Un dernier tour de salle rempli d'émotions!

Sierre, le 21 avril 2023, Didier de Courten, donne son dernier service à l’hôtel re3staurant le Terminus, 19 points au Gault&Millau, avec sa femme Carme Sedrik Nemeth

Foudroyant de précision, le dernier menu du chef n'était rien d'autre qu'un «menu classique».

Avant le service, vous étiez serein?

Oui. Cela fait neuf mois que nous savons que le 21 avril 2023, ce sera fini. Il n’y a pas de surprise. Mais tout de même, j’ai eu ce petit tremblement habituel, ce léger stress qui vient avant chaque service me rappeler que rien n’est établi et qu’il faut toujours se battre comme à la première heure, aussi haut soit-on arrivé.

 

Justement: après 19 points, deux étoiles, le titre de «Cuisinier de l’année», une entrée dans La Liste des 1000 «meilleurs restaurants du monde»… Vous êtes conscient que vous avez marqué la Suisse et bien au-delà?

Certainement. Mais je suis surtout heureux d’avoir marqué et mis en avant le Valais. Car plus qu’un «chef star», je me suis toujours présenté comme le porte-drapeau des artisans de notre région. Mon métier, c’est de mettre en valeur les produits que ces gens produisent tous les jours avec passion. Et nous marchons main dans la main. Tout à l’heure, l’équipe de la Cave Zufferey est passée dire bonjour, tout simplement. Cela m’a fait énormément plaisir!

 

Et si vous ne deviez retenir qu’un seul moment dans votre carrière, lequel serait-ce?

Je reviens au Valais, mais c’est en 2017, lorsque j’ai reçu le Prix Rünzi, décerné à une personnalité ayant fait particulièrement honneur au canton du Valais. S’il est souvent attribué à un chanteur, un politicien, un sportif, c’était la première fois qu’un artisan le recevait et j’étais fier de pouvoir représenter les producteurs, les cuisiniers, les éleveurs de notre pays.

 

Et que deviennent vos employés?

Ils ont tous retrouvé une place ou savent ce qu’ils feront dès ces prochaines semaines. Un pâtissier part pour la Maison Wenger au Noirmont, un cuisinier au Valrose à Rougemont, certains en Valais, d’autres encore à l’étranger. Et quelques-uns se laissent un moment de pause voire quittent la restauration. Dès le jour où nous avons annoncé la fermeture du Terminus, je les ai aidés à retrouver une place. Je ne laisserai jamais quelqu’un sur le bord de la route.