4% de cheffes dans le GaultMillau. En juin 2024, nous vous présentions dans cet article toutes les cheffes dont le restaurant est noté au GaultMillau. Il y en avait 13, sur environ 300 tables. 4% environ. Un chiffre indiscutablement bas, compte tenu de la proportion de professionnelles dans les cuisines, ainsi que d'apprenties sur les podiums de concours en formation. Pour la Journée internationale des droits de la femme le 8 mars, nous avons pris la température auprès de trois cheffes romandes: Maryline Nozahic (La Table de Mary, Cheseaux-Noréaz, 16/20, membre des Jeunes restaurateurs), Margaux Chapuis (La p'tite maison, Chandolin, 14/20) et Alba Farnós Viñals (Auberge de l'Abbaye de Montheron). Toutes trois ont accepté de témoigner et de livrer leur parcours de femme en cuisine.
Un constat commun, d'abord. «La restauration est un monde difficile pour tout le monde, pas uniquement pour les femmes, commence Alba Farnós Viñals. Mais j'ai tout de suite compris que contrairement aux hommes, les femmes doivent prouver qu'elles ont leur place aux fourneaux. Dans la charge de travail, dans les résultats attendus, mais aussi dans le tempérament. Je pense que ce doit être la même chose dans beaucoup de domaines.» Un constat confirmé par Maryline Nozahic, pour qui «les femmes se font bouffer si elles n'ont pas un minimum de caractère», et par Margaux Chapuis, qui mentionne toutefois que certains hommes subissent le même sort. La cheffe de l'Abbaye de Montheron lance même: «Je ne trouve pas cela normal, mais il est vrai qu'a contrario, certaines filles abusent de leur position de femmes, qui ne peuvent pas porter ça parce que c'est trop lourd, qui ne peuvent pas faire cela parce qu'elles sont des femmes… Et cela décrédibilise le message.» «Les femmes ne doivent pas avoir de passe-droit», confirme Margaux Chapuis. Mais si, en devant travaillant deux fois plus, les cuisinières avaient toutefois deux fois plus de succès?
Alba Farnós Viñals s'épanouit à l'Auberge de l'Abbaye de Montheron avec son compagnon Paul Marsden. «Je peux énormément compter sur Paul, il me pousse à me surpasser, c'est un bonheur.»
Madame en cuisine, Monsieur en salle, un problème? «Le succès des cheffes a plus d'impact car nous sommes moins nombreuses, c'est mathématique, commente Alba Farnós Viñals. Mais il faut que nous soyons plus pour rendre cela moins anecdotique. Et je vois régulièrement l'argument féminin avancé à la manière du «greenwashing», en nous mettant en avant uniquement parce qu'on est des femmes, et pas pour notre travail. C'est blessant.» Puis, elle argumente la difficulté pour une fille de s'imaginer cheffe, à cause de la faible proportion de ces dernières dans le paysage médiatique. De son côté, la cheffe de la p'tite maison relève que beaucoup de clients commentent leur surprise de voir les rôles «inversés» entre elle et son mari Jeremy. Maryline Nozahic, elle, souligne des «réflexions mal placées» quant aux postes de son mari Loïc, en salle, et d'elle en cuisine. Des commentaires toutefois en baisse pour la cheffe installée à Cheseaux-Noréaz, qui insiste sur l'amélioration globale de la question féminine en cuisine ces dix dernières années.
«On ne veut pas de femmes!» «Je viens de fêter mes cinquante ans, dont trente-cinq en cuisine, continue Maryline Nozahic. Lors de ma formation, les chefs étoilés ne voulaient pas de femmes dans leurs brigades, c'était très clair. Puis, je suis allée en Allemagne, où la situation était un peu différente. En 2025, cela n'existe presque plus.» À ses débuts aussi, Alba Farnós Viñals a été bousculée: «Je ne m'étais jamais posé la question de travailler avec des hommes ou non, car nous sommes tous et toutes des humains qui travaillent. Mais lors de divers entretiens, des chefs instauraient volontairement une peur de la cuisine, tentaient de me décourager, me demandaient plusieurs fois si j'avais bien réfléchi… Mais pourquoi ne pourrai-je pas cuisiner s'il y a une bonne structure de travail?» Avec un parcours de formation différent, Margaux Chapuis s'inscrit dans une ligne moins bousculée. Durant et après sa formation à l'école hôtelière, elle se retrouve dans certaines brigades composées d'autant de femmes que d'hommes, et elle l'assure, «ça s'est super bien passé, c'était une bonne chose pour se lancer dans la vie professionnelle. Puis, j'ai travaillé à la Chaumière (Troinex, 15/20), chez Serge Labrosse, et j'étais la seule femme en cuisine. C'était une formidable expérience! Une fois que tu as prouvé ce que tu vaux, ça se passe bien.»
Maryline et Loïc Nozahic, un couple qui a fait ses preuves depuis des années. Tous deux cuisiniers de formation, ils conduisent leur restaurant avec l'aide d'un plongeur, et c'est tout.
«On peut le faire!» «Comment dois-je être femme dans ce monde d'hommes? Puis-je être cheffe sans devoir agir comme un homme? Dois-je me trahir pour réussir?» Ces questions, Alba Farnós Viñals se les pose régulièrement. «J'ai envie d'être représentante d'un modèle différent», sourit-elle. Comme elle, la directrice de salle du Lausanne Palace (17/20) Sarah Benahmed porte haut la cause féminine et l'espoir d'un monde qui change. En démontre sa prise de parole lors de la cérémonie du Guide Michelin en automne dernier: «Lorsque je suis devenue maman en été 2023, je me suis demandé comment j'allais faire avec le restaurant. Nous avons mis des choses en place et oui, c'est faisable!»
La question de la maternité. À propos de la parentalité, Maryline Nozahic a aussi des choses à dire. «Nous avons ouvert notre premier restaurant en 2003, lorsque notre fille Léa avait un mois, se souvient la cheffe de la Table de Mary. Avec du recul, nous étions complètement fous! J'avais le maxi-cosi en cuisine, elle dormait là, on se débrouillait comme on pouvait. À ce moment-là, c'était la seule manière pour nous de conjuguer notre restaurant et notre parentalité.» Aujourd'hui, à l'exception d'un plongeur, les Nozahic n'ont plus d'employés. Mais lorsque c'était encore le cas, la cheffe était attentive lorsqu'une employée entamait une grossesse, et mettait en place des conditions particulières. Un témoignage qui fait écho à la conviction de Margaux Chapuis, qui élargit: «De manière générale, la qualité de vie des cuisiniers et cuisinières s'améliore, c'est important de le préciser. Et cela touche aussi celle des futures mamans.»
À Chandolin, Margaux et Jeremy Chapuis se plaisent à deux. Et tant pis si les clients sont surpris que Madame soit en cuisine et pas Monsieur.
Le même respect pour tout le monde. Ces trois cheffes le disent: la situation s'est améliorée. Mais «les chiffres parlent d'eux-mêmes, lâche Margaux Chapuis en souriant. Il est nécessaire d'informer, de montrer que c'est possible d'être femme et de cuisiner, mais aussi d'être cheffe de restaurant.» Alba Farnós Viñals conclut: «À Montheron, nous sommes trois femmes et deux hommes en cuisine. Ce n'est pas un choix de parité, c'est simplement une équipe que j'ai constituée avec des personnes qui travaillent bien et en qui j'ai confiance. Je pense qu'il est nécessaire de traiter avec le même respect les hommes et les femmes qui travaillent bien.»
Le restaurant La Table de Mary à Cheseaux-Noréaz
Le restaurant L'Auberge de l'Abbaye de Montheron
Le restaurant la p'tite maison à Chandolin
Photos: Aniket Godbole, Siméon Calame, DR