Aspic fatal. Il est l'un des chefs qui a fait l'actu romande en 2024. Et pourrait bien encore faire parler de lui en 2025, tant il n'arrête pas de surprendre. On l'a connu sur M6, lors de l'émission Top Chef. Le Fribourgeois Pierre-Pascal Clément, «PP» Clément, y avait montré plusieurs choses. Sa cuisine, ses tatouages sur sa plastique de beau gosse. Ses certitudes, également. Beaucoup. Notamment lorsque, en pleine épreuve éliminatoire, il avait fait fi des conseils de l'illustre Pierre Gagnaire alors qu'il réalisait un aspic… sans gelée. Une erreur qui lui a coûté sa place dans le concours. «Mais moi, je n'aime pas ça [la gelée], je n'en aurais pas mis plus», avait-il commenté, têtu, lors d'une interview à Blick. Trop sûr de lui? En tout cas, «droit dans [ses] bottes», comme il l'a dit dans ce même entretien.
Détermination. Fatal, cet entêtement lui a cependant été précieux à d'autres moments de sa carrière. Le voilà aujourd'hui à la tête de son propre restaurant, Au Chasseur, en ville de Fribourg, ainsi que d'un beau petit capital notoriété. À 33 ans, il mesure le caractère exceptionnel de son parcours, en sachant rester modeste. «Là où j'ai eu beaucoup de chance, c'est que grâce à Top Chef, j'ai pu immédiatement faire ce que je voulais dans mon restaurant. C'est rarement le cas lorsqu'on se lance, où il faut y aller beaucoup plus progressivement et faire des compromis.» Comme si son plan de carrière s'était déroulé sans accroc. Mais non sans détours.
Culture française. PP Clément a commencé son initiation à 15 ans, dans le restaurant de son oncle Pierre-Alain Oberson, La Poularde, à Romont (FR). Trois ans plus tard, direction Zurich où il rejoint le prestigieux Baur-au-Lac, sous la houlette du Vaudois Laurent Eperon, avant de passer par quelques belles adresses, dont la Maison Wenger au Noirmont (JU), le Domaine de Châteauvieux à Satigny (GE) ou Les Solistes, une adresse de Pierre Gagnaire à Berlin. Des brigades de culture gastronomique française qui lui ont inculqué de solides bases techniques.
Conservatisme. Mais tout cela l'a aussi un peu écœuré. S'il reconnaît ainsi avoir appris dans la brigade de Philippe Chevrier «autant en un an et demi qu'en cinq ans ailleurs», ses expériences lui laissent une certitude: il ne travaillera plus dans ce genre de brigade. Trop dur, trop autoritaire, trop militariste. «Il y a beaucoup de conservatisme, dans les assiettes, mais aussi dans les relations humaines», philosophe-t-il.
À la cool. Tout cela pesait beaucoup sur les épaules d'un type qui s'imaginait plus cool que ça. Confirmation lui est donnée en 2022 alors qu'il regagne Zurich, pour travailler à la Maison Manesse (16/20). Changement de décor et de personnes. C'est un autre monde. Lui amène ses bases techniques, et découvre en échange les joies de «travailler en T-shirt», «dans le respect, l'honnêteté, la transparence». C'est un tournant dans sa carrière, à 30 ans. «J'ai compris que je voulais que mon restaurant soit comme ça». Et ça se sent. Toujours en T-shirt, on le voit cuisiner au Chasseur face aux convives, tout en discutant avec eux ou en donnant ses directives à son équipe jeune et décontractée. Détail important: on ne mange pas le menu du, mais des chefs. Manière de reconnaître le travail d'équipe, sans faire gonfler le melon du patron.
Devant, derrière. Si PP Clément n'a pas la grosse tête, cela ne l'empêche pas de n'en faire qu'à la sienne, de tête. Alors que les restaurants se recentrent pour rester plus lisibles, lui décide que le sien sera un deux-en-un, «Devant» (cocktails, tapas et finger food) et «Derrière» (cuisine gastronomique). Risqué, certes. Mais le resto est plein depuis qu'il a ouvert cet été. Et ne comptez pas sur lui pour laisser Au Chasseur dans son jus: tout évolue au fil des saisons et surtout de ses envies. Cet automne, la partie Devant s'est consacrée aux plats à partager, comme on le voit dans nombre de destinations gastronomiques. On y déguste des plats tout simples. «Une saucisse, une sauce, un légume, on laisse les gens se servir et se faire leur propre dressage. Là, il se passe quelque chose: on se passe les plats, les services, ça amène de la convivialité. Ce que je cherche, au fond, c'est provoquer la discussion», détaille-t-il.
Télégramme. Autre particularité: ses intitulés de plats. Aucun titre, aucune poésie ni devinette, juste les noms des ingrédients, presque comme une étiquette ou un télégramme. «Aubergine - abricot - courgette - ail noir». «Canard - sichuan - feuille de figuier - noisette». Vraiment? «Mes intitulés sont simples parce que j'ai envie de surprendre, plutôt que de suggérer des idées préconçues», se défend-il.
Copain avec Paillereau. Avec son approche à la fois technique et foutraque, c'est peu dire que PP Clément réveille Fribourg. Chef le plus réputé de la région, Romain Paillereau est allé manger chez lui. Les deux hommes s'apprécient. Romain Paillereau voit en PP Clément quelqu'un «de très spontané, qui fait une cuisine proche du terroir qui met en avant la région fribourgeoise». «On n'est pas du tout concurrents, au contraire, on s'entraide!», dit Pierre-Pascal, moins loquace sur son autre grande connaissance fribourgeoise: Pierre-André Ayer, dont il a dirigé les cuisines, au Pérolles, durant trois ans. Il se murmure que les relations ne seraient pas au beau fixe entre eux.
Visuel. Jusqu'où ira PP Clément? En bon fan de voyages (il adore New-York, comme tout bon gourmand), il devrait aller loin. Mais il le jure - et contrairement à Romain Paillereau - il se fout des récompenses. Pour l'instant. «Ce n'est pas dans mes objectifs immédiats. Je préfère que les gens viennent parce qu'ils ont envie de découvrir mon univers, plutôt que pour vérifier si je vaux vraiment ce que les guides ont dit de moi», se défend-il. En attendant, il s'applique et va chercher l'inspiration aussi bien au marché du coin qu'à l'autre bout du monde. Avant de mettre tout ça à sa sauce. Les carnets, les dessins, la planification? Très peu pour lui. «J'ai besoin de visuel. C'est au moment de voir le produit que l'inspiration me vient». Sa dernière trouvaille? Des anguilles façon kabayaki goûtées au Japon, qu'il revisite à sa façon, «avec du sandre à la place des anguilles, et de la choucroute!» Droit dans se bottes d'accord, en tout cas tant qu'il ne refait pas un aspic, ça nous va.
Le restaurant Au Chasseur à Fribourg
Photos: Nicolas Fuerer / PP Clément