Depuis deux ans, vous avez renoncé aux produits de la mer et aux aliments importés. Vos menus ont-ils autant de succès qu’auparavant?

Oui, nos jeunes clients en particulier sont intéressés et convaincus par cette démarche. Nous sommes par ailleurs très honorés d’avoir reçu le Prix de la cuisine éthique décerné par Relais & Châteaux. Notre nouvelle formule plaît énormément. Tout avait commencé avec les repas de la bénichon, qui impliquent des produits forcément locaux: un succès immédiat. J’ai donc décidé de me démarquer et de centrer mes cartes sur les produits de proximité. Depuis, je ne sers que des légumes, de la viande et des poissons suisses, j’ai même renoncé au foie gras! Nos clients sont enthousiastes. Et pour nous, c’est un challenge passionnant.

 

Pas de foie gras, pas de bœuf de Kobé, pas de langoustines... Que proposez-vous, alors?

Tous les bistrots proposent des Saint-Jacques et du homard, souvent de piètre qualité. J’ai donc réalisé que la grande gastronomie d’aujourd’hui doit d’abord être une fenêtre sur sa région. Si je n’achète pas de bœuf de Kobé importé, en effet, j’ai découvert un éleveur, Stéphane Evalet, à Tramelan, qui élève des bœufs wagyu. Le résultat est le plus proche possible de ceux qu’on trouve au Japon: c’est une viande tout à fait exceptionnelle. Si on explique aux clients la démarche et aussi la raison du prix de ce produit, qui se négocie au même tarif qu’au Japon, ils en sont friands. Le même producteur élève aussi du limousin dans le Jura: certains clients viennent et reviennent exprès pour ça. Seule limite: il n’y a que peu de bêtes par an. Alors j’ai d’ores et déjà réservé les pièces dont j’ai besoin.

 

Se concentrer sur les produits helvétiques pose-t-il des problèmes d’approvisionnement?

Cela demande surtout de faire de la prospection. Contrairement à la France, où certaines appellations garantissent des cahiers des charges très précis et donc un approvisionnement plus facile, en Suisse, la production est éclatée. J’encourage d’ailleurs les producteurs de viande suisses à faire ce qu’ont réussi les fromagers, pour assurer plus d’homogénéité. Cela dit, Suter Viandes à Villeneuve m’approvisionne très efficacement. Et je découvre régulièrement des produits de très grande qualité. De l’agneau de lait de Bruson, par exemple. Autrement, j’ai trouvé des agneaux magnifiques à Longrin ou encore aux Dents-du-Midi. Comme il s’agit de petits élevages, il faut par contre acheter la bête entière. C’est contraignant, mais c’est surtout très stimulant pour la créativité du cuisinier de devoir composer avec toutes les pièces de viande, pas seulement les morceaux considérés comme nobles!

Travers de porc Stéphane Décotterd Confiné

De délicieux travers de porc accompagnés de pommes sautées. Signé Stéphane Décotterd.

Souris d'agneau confite Stéphane Décotterd Confiné

Une souris d'agneau confite bien gourmande cuisinée par le chef.

Comment faites-vous pour dénicher ces producteurs confidentiels qui proposent des viandes d’exception en Suisse?

C’est passionnant de constater que, depuis mon changement d’orientation considérablement médiatisé, les producteurs viennent volontiers à moi. Il suffit ensuite d’adapter son organisation au rythme de ces productions, car il faut être prêt à attendre deux ou trois mois, voire même trois ans pour le bœuf wagyu!

 

Le canard fait partie de l’ADN du Pont de Brent. En trouvez-vous en Suisse?

En effet, le canard servi entier et découpé à la table est l’un des classiques de la maison. J’en ai trouvé de magnifiques en Appenzell, chez une famille d’éleveurs qui me les livre bien rassis. Puis j’en achète deux fois l’an, 100 à 150 pièces, au Gibier du Domaine, à Thierrens. Là aussi, il faut les réserver pour être certain d’en avoir. Et pour l’automne, j’ai aussi déniché du canard de Poméranie, une race ancienne et locale, mais plus sauvage. Puis il y a les autres volailles que je trouve en Gruyère, chez la Belle Luce qui les élève en plein air, et qui s’apparentent à celles de Bresse.

 

Et en automne, quand on pense foie gras et chasse, que proposez-vous?

Si l’on produisait du foie gras en Suisse, correspondant à la législation helvétique, ce serait bien! Mais pour l’instant, le marché est inondé de foies gras de piètre qualité souvent produits dans des conditions indéfendables, qui induisent une baisse de popularité de ce produit. Or, ce qui m’importe, c’est la qualité, la traçabilité et la proximité. En automne, je me concentre donc sur certains gibiers locaux. Un peu de cerf et surtout du chamois, qui m’est apporté par des chasseurs du val d’Illiez. A part quelques selles du Tyrol, je les achète entiers. Là aussi, il faut donc tout utiliser: d’où ma recette de chamois à la royale en décembre et en janvier, quand arrive la truffe. Je prépare aussi des pithiviers de chamois en pâte feuilletée, des pâtés en croûte: au Pont de Brent, on les valorise de A à Z.