Anne-Sophie Pic, la découverte. Avec l’un de ses premiers salaires d’apprenti cuisinier, Alexandre Monod, qui avait alors 16 ans, a invité son père chez Pic, à Lausanne. «Parce que j’avais envie de découvrir cette signature culinaire.» Et il n’a pas été déçu: «C’est une cuisine d’auteur, on a vraiment l’impression d’être chez quelqu’un. J’y ai découvert plein de goûts inconnus. Le service aussi est parfait et j’ai adoré tous les détails qui font la différence.» Un jugement de vrai connaisseur.
Yannick Alléno, le rêve. Alors ça lui a donné envie d’aller voir ailleurs, dans d’autres tables emblématiques. Il s’est carrément mis à les collectionner. Tout comme il collectionne les livres de cuisine de grands chefs: «Je ne sais pas si c’est beaucoup, mais j’en ai une cinquantaine», affirme, modeste, le jeune homme passionné qui, un ouvrage signé Yannick Alléno à la main, rêve d’aller manger chez le chef triplement étoilé qui affiche 19/20 au Pavillon Ledoyen, à Paris.
Philippe Ligron, le transmetteur de passion. En fait, tout a commencé lorsque Alexandre avait une dizaine d’années: «On est allé près d’Evian, en famille, manger des filets de perche accompagnés d'une sauce tartare maison. C’était tellement bon! Rien que d’y penser, j’en ai l’eau à la bouche…» Alors, quand il a eu 13 ans, sa mère l’a inscrit à un stage de cuisine. C’était à l’Hôtel des Alpes, à Savigny: «Je suis reparti enchanté! Alors j’en ai fait d’autres, au Beau-Rivage, à Lausanne, chez Lucien Moutarlier… Une dizaine en tout, parce que c’est important de savoir où l’on va avant l’apprentissage.» Un apprentissage qu’il vient de terminer à l’Alimentarium, «un cadre unique, avec ce jardin fantastique!» sous la direction de Philippe Ligron, conteur émérite et historien de la cuisine, qui a contribué à développer sa passion pour la cuisine et son histoire.
Denis Martin, le magicien. C’est à Vevey également qu’Alexandre découvre la cuisine moléculaire, chez Denis Martin: «Une autre signature, avec une cuisine très personnelle. On n’avait pas réservé le show culinaire qu’il propose en plus du menu, mais il m’a pris dans son labo-cuisine et c’était incroyable. Je suis plutôt traditionnel, donc pas très moléculaire, mais j’ai suivi le travail d’Hervé This. J’adore ses livres, j’en ai quatre, et quand je commence à les lire, j’y passe toute la nuit!» Alors il a adoré Denis Martin et sa cuisine, ces petits pois exceptionnels, notamment, et ces jeux de textures: «On perd ses repères, mais quand il explique sa démarche et tous les tests qu’il effectue, on comprend les efforts que cela implique. C’est super intéressant, même si sa démarche n’est pas toujours applicable à la maison.»
Cuisine maison. A la maison, chez Alexandre, personne d’autre n’est cuisinier de métier. En revanche, tout le monde – ses parents et sa sœur jumelle – aime la table et tout ce qui s’y rapporte: «Quand nous étions petits, mon père nous emmenait aux champignons. Régulièrement, il nous prépare aussi son pesto avec les herbes qu’il va cueillir lui-même. Et avec ma mère, on faisait des biscuits de Noël.» A Noël dernier, c’est néanmoins Alexandre qui s’est mis aux fourneaux. Au menu, filet mignon de porc, pommes purée et, surtout, sauce maison de A à Z: «Yannick Alléno a fait un grand travail sur les sauces, car c’est ce qui fait la cuisine française.» La référence aux grands chefs, on y revient.
Daniel Humm – le Suisse de New York. De même, quand frère et sœur sont partis avec leur père à New York, à l’occasion de leurs 18 ans, une visite chez un grand chef paraissait aller de soi: «Mon père m’a demandé si je connaissais un bon restaurant. J’ai tout de suite répondu «Daniel Humm!» Ce chef suisse, formé au Pont de Brent avant d’être découvert par GaultMillau en Suisse alémanique et de partir aux Etats-Unis, culmine depuis des années en tête des palmarès internationaux. Son restaurant de prestige, Eleven Madison Park, est l’un des plus en vue de New York et il est installé dans un emblématique building des années 1920.
La rencontre des titans. «On y est allés à midi et déjà la façade est impressionnante. Puis il y a cette porte à tambour et l’immense salle au décor minimaliste», se souvient le jeune homme, encore impressionné par le tourbillon des serveurs, des découpes en salle et des cuisiniers qui sortent à tour de rôle pour faire des petites démos. Mais surtout: «On a visité les cuisines et c’est incroyable, avec une brigade gigantesque!» Seul regret, ce jour-là, à midi, Daniel Humm n’était pas là. Mais Alexandre, qui suit l’actualité gastronomique de près, a ensuite découvert qu’il rencontrait ce jour-là Yannick Alléno: une bonne excuse, donc!
Didier de Courten – magique. Parmi les grands chefs chez qui Alexandre s’est attablé, Didier de Courten tient aussi une place à part: «J’y suis allé pendant la Semaine du goût, l’année passée. J’admire ses dressages: ses assiettes sont reconnaissables instantanément. J’ai aussi apprécié le service, qui connaît tous les produits et se montre capable d’expliquer la démarche du chef pour chaque plat. En plus, il y a les conseils du sommelier qui nous guide dans des notions que je n’ai pas.»
Le prix du rêve. Quand on lui parle de l’addition dans un grand restaurant, Alexandre ne se laisse pas démonter: «Ces montants paraissent parfois énormes, c’est vrai, mais ils sont justifiés, explique le jeune cuisinier, car il y a les produits exceptionnels, des dizaines de personnes en cuisine et en salle, un savoir-faire inouï.» Alors quand il apprend que Didier de Courten décide de fermer son restaurant gastronomique, il regrette: «Ça fait un choc car c’est un monument de la cuisine suisse. Mais quand on lit ses arguments, on le comprend.»
Ambition. Alexandre, lui, reste ambitieux. Dans dix ans, il se voit chef aux fourneaux d’un grand restaurant parisien. Et plus tard, c’est certain, il aura son propre restaurant, en Suisse: «J’y ferai une cuisine qui me représente. A base de poissons et de légumes, surtout.» Mais dans l’immédiat, il commencera par fêter son CFC. Et là aussi, Alexandre sait ce qu’il veut. S’il ne trouve pas de table chez Yannick Alléno, il ira au Jules Verne, le restaurant de Frédéric Anton, suspendu entre deux étages de la tour Eiffel. A l’évidence, le jeune habitant de Lutry vise haut!