Anton Mosimann a grandi à Nidau, près de Bienne, avant de faire une carrière fulgurante à Londres. Chef du Dorchester à 28 ans, il cuisine pour la reine Elisabeth et la haute société britannique encense sa cuisine moderne, fine et légère. A la TV, ses émissions culinaires ont fait un tabac. Au Bouveret, un musée est consacré à son incroyable carrière. Officier de l’Ordre de l’Empire Britannique, il s’est aussi vu décerner le Mérite culinaire suisse. Interview de ce chef intime des WIndsor.
Vous êtes actuellement à Londres, ville en deuil. Comment vivez-vous le décès de la reine Elisabeth?
Je partage mon temps entre la Suisse et Londres, où je suis arrivé la veille du décès de la reine. Cette annonce m’a beaucoup ému. Je suis triste, bouleversé même, car elle était une grande dame au rayonnement unique. J’ai eu le privilège de bien la connaître, depuis longtemps.
Vous souvenez-vous de votre première rencontre avec la reine?
Bien entendu! C’était il y a près de cinquante ans, à l’hôtel Dorchester où j’étais chef de cuisine. Elle est venue y manger, invitée par un homme d’Etat du Moyen-Orient. A la fin du repas, j’ai été appelé pour lui être présenté. J’étais très impressionné, fébrile même! Et pourtant, elle s’est montrée très aimable. Depuis, je l’ai revue très souvent, jusqu’à quatre fois par an.
Qu’y avait-il au menu de ce premier repas destiné à Sa Majesté?
Je m’en souviens parfaitement, car je garde tous mes menus – plus d’un millier! – dans mon musée, au Bouveret. En entrée, j’avais fait mariner du saumon écossais agrémenté de chair de crabe. Puis je lui ai servi un filet d’agneau accompagné de légumes du marché. Et en dessert, une spécialité typiquement britannique: le bread and butter pudding.
La reine vous a-t-elle dit quel était son plat préféré?
La reine était un fin palais. Elle privilégiait le local, le léger et si possible le bio: des poissons, de l’agneau, toujours cuisinés de la manière la plus nature possible, pour mettre en valeur la qualité des produits. De manière générale, pour les membres de la famille royale, j’apprête surtout des aliments provenant de leurs fermes.
Quand la reine ou un autre membre de la famille royale sort au restaurant, comment cela se passe-t-il?
Tout est minutieusement préparé. Il y a d’abord un contact téléphonique. Puis une visite pour déterminer la table: proche des sorties et bien en vue des agents de sécurité qui prendront discrètement place en salle. Le jour J, l’établissement est contrôlé de fond en comble, avec des chiens. Les autres clients sont triés sur le volet. Il n’y a pas d’inconnus dans la salle.
Vous avez cuisiné des dizaines de fois pour Elisabeth II et sa famille. Quel est votre souvenir le plus marquant?
Un soir, à la fin d’un repas pour dix convives royaux, ils ont décidé de regarder un film: Le docteur Jivago. Avec le sous-chef, nous avons été conviés à assister au visionnage. C’est un souvenir unique, car la reine a ri, l’atmosphère était détendue et c’était une soirée magnifique. Puis, il y a un séjour officiel à Prague: quatre jours intenses au service du prince Charles qui rencontrait Vaclav Havel.
Vous connaissez bien le prince Charles?
Oui, je cuisine pour Charles depuis trente-cinq ans! J’ai souvent eu l’occasion de le côtoyer et nous discutons volontiers ensemble de choses et d’autres. Il est d’ailleurs très ouvert et épris de la Suisse, où il est régulièrement venu en vacances, à Klosters.
C’est vous qui avez signé les repas de noces des deux princes, William et Harry. Sont-ils, eux aussi, fans de votre cuisine?
William et Harry venaient déjà dans mon restaurant quand ils étaient petits, avec leur maman, la princesse Diana. Je crois qu’ils ont toujours apprécié ma cuisine. Et, effectivement, j’ai eu l’immense satisfaction de voir mes menus ovationnés à la fin de leurs deux repas de mariage. A l’évidence, ils étaient heureux. Moi aussi!
Vous avez été nommé officier de l’ordre de l’Empire britannique par Elisabeth II. Allez-vous assister à ses obsèques? Et, si oui, porterez-vous l’un de vos célèbres nœuds papillons?
Je ne sais pas encore si je serai présent. Et je me tiens bien entendu à disposition si je peux me rendre utile. J’ai écrit une lettre de condoléances au roi Charles III, avec une note personnelle puisque nous nous connaissons depuis longtemps. Quant au nœud papillon, bien entendu que je le porterais, même lors de funérailles royales.