Photos: Nicolas Righetti/Valeriano di Domenico
Royal. Edmond Gasser a l’élégance et la prestance, l’aisance et la sobre retenue d’une éminence grise qui souffle toujours à son roi la juste réponse. Et, bonne nouvelle, le roi, c’est vous! Du moins quand vous êtes attablé au restaurant Anne-Sophie Pic, au Beau-Rivage Palace, à Lausanne. Chargé, à tout juste 30 ans, de la sommellerie de ce précieux écrin, ce Parisien vous offre son regard complice et son écoute attentive de grand professionnel.
Explorateur. Et n’allez pas imaginer qu’un simple dialogue avec lui se soldera par un coup d’assommoir au moment de l’addition: «Lorsque nous n’avons pas évoqué de prix avec le client, je choisis toujours de m’aligner sur la marge la plus basse de la catégorie choisie. C’est une question de confiance», explique cet explorateur érudit du monde du vin qui, lorsqu’il est lui-même au restaurant, apprécie qu’on lui conseille des crus de qualité à des prix raisonnables. Pas étonnant, donc, que le GaultMillau 2020 l’ait nommé «Sommelier de l’année».
Distinction. «Ce prix est essentiel pour la viticulture suisse. Car il permet de mettre en lumière les personnalités et un corps de métier qui ont donné et continuent à donner ses lettres de noblesse au vin suisse sur le plan national et international», explique Nicolas Joss, directeur de Swiss Wine, l’organe chargé de promouvoir les vins helvétiques et qui s’associe au GaultMillau pour décerner cette distinction: «J’ai eu beaucoup de plaisir à échanger avec Edmond Gasser et à découvrir sa magnifique curiosité et sa passion.»
Vins suisses. Passionné, le jeune père de Louis (2 ans) et de Côme (1 mois et demi) l’est clairement. Et les vins suisses, il sait les mettre en lumière. Ainsi, 20% des 70 000 bouteilles que recèle la cave du Beau-Rivage Palace sont des crus helvétiques: «Mais ils représentent 50% des ventes!» ajoute le chef sommelier, qui n’hésite pas à servir du Clos des Moines millésime 1975 au verre. En dehors de la Suisse, Edmond Gasser parcourt volontiers les vignobles du monde entier. Ceux d’Europe de l’Est en particulier. Ses cépages de prédilection? Le riesling et le grüner veltliner, dont il sait parler comme personne ou presque.
Talent. A la richesse d’un langage jamais affecté, il ajoute la faculté de ne jamais ennuyer son public, au contraire. Il faut dire que, après avoir obtenu son bac littéraire (d’où cette faculté d’élocution!), il a d’abord choisi de devenir psychologue (un profil idéal pour cerner ses interlocuteurs!). Mais c’est finalement sa passion pour la cuisine qui l’a emporté, puis une spécialisation en sommellerie à l’école Ferrandi, à Paris. Un bon choix puisque, à peine arrivé au George V, alors qu’il n’a pas encore pour tâche de conseiller les clients, il parle à une cliente avec tant de doigté de la Romanée-Conti 1989 qu’elle lui en demande une bouteille… à 25 000 euros!
Modestie. Arrivé en Suisse, au Beau-Rivage, puis au Mandarin Oriental, à Genève, il a appris à redescendre sur terre. La psychologie l’a beaucoup aidé à comprendre la clientèle lausannoise, cultivée, mais qui à l’esbroufe préfère le conseil avisé. Et ça, Edmond Gasser sait le dispenser. Avec l’habileté d’un prestidigitateur, il parvient à vous donner l’impression que c’est lui qui écoute et vous qui expliquez… même si, en fait, c’est tout le contraire. Un grand professionnel, vraiment. Une éminence grise qui sait mettre en confiance son roi. Or, nous le savons tous, le client est toujours roi. Un vrai «Sommelier de l’année», quoi!