Texte: Siméon Calame | Photos: Ecole hôtelière de Lausanne
Première cheffe au Berceau des Sens. En automne 2021, Lucrèce Lacchio avait succédé à Yoann Caloué au Flacon (15/20) à Carouge. Le 1er septembre prochain, la tout juste trentenaire prendra la place de Cédric Bourassin au Berceau des Sens (16/20), lui qui était aux fourneaux du restaurant d’application de l’EHL Hospitality Business School (anciennement Ecole hôtelière de Lausanne) depuis sept ans. C’est sous ses ordres que cette table gastronomique des hauts de Lausanne a explosé, grimpant à 16 points en 2019, obtenant une étoile Michelin la même année et entrant dans les Grandes Tables de Suisse en 2021. Cédric Bourassin continue d’enseigner à l’EHL, mais pour Lucrèce Lacchio, qui a notamment fait ses armes chez Mathieu Bruno au Là-Haut (16/20) à Chardonne avant d’obtenir 15 points au Flacon, à Genève, passer d’un petit établissement à un paquebot comme l’EHL, c’est un grand pas. Interview exclusive à un mois de la réouverture.
(Grande photo ci-dessus: Lucrèce Lacchio et la salle du Berceau des Sens)
Vous avez passé deux ans comme cheffe du Flacon, n’est-ce pas trop tôt pour partir?
Elles sont vite passées, ces deux années! Je devais maintenir l’étoile Michelin et les 15 points au GaultMillau: deux gros challenges. Ces récompenses restent mon plus beau souvenir à Carouge. De plus, c’était ma première place de cheffe, je devais donc trouver mon identité culinaire. Mais il n’est jamais trop tôt pour reprendre un nouveau challenge.
Comment êtes-vous arrivée à l’EHL?
J’y suis allée au culot! (rires) Cela faisait plusieurs mois qu’il y avait des bruits de couloir à propos du départ de Cédric Bourassin, alors j’en ai profité. J’ai demandé au chef exécutif de l'EHL Christian Segui si le poste était à repourvoir, puis les choses sont allées rapidement. C’est mon coup de folie des trente ans!
Quel style allez-vous imprimer au Berceau des Sens?
Mes assiettes tournent autour du végétal et du poisson. Mais j’aime ajouter différents fruits dans mes plats, instiller des notes acidulées ou sucrées afin de créer des surprises presque constamment. De manière générale, je vois la cuisine comme de l’art, c’est pour cela que j’essaie d’ajouter des visuels attrayants à mes assiettes, en misant sur la couleur.
Cédric Bourassin vous coache-t-il pour votre arrivée?
Oui, Cédric est très ouvert, et généreux en temps et en conseils. Nous avons déjà beaucoup échangé avant les vacances et je sais déjà que je vais régulièrement retourner le voir et certainement l'agacer avec mes questions (rires)! Mais cet immense établissement est tellement différent de ce dont j’ai l’habitude que je suis à l'affût de toutes ses suggestions.
Il est vrai que l’EHL est un immense paquebot. Êtes-vous un peu perdue?
J’avoue qu’à ma première venue au Chalet-à-Gobet, j’ai fait «waouh!». C’est impressionnant et il est certain que ça change du Flacon! De plus, tout se fait en anglais. Mais je sais que je peux compter notamment sur une ribambelle de Meilleurs Ouvriers de France (MOF) pour le côté culinaire, et sur toute une équipe de professionnels pour le reste.
Vous êtes la première femme cheffe à l’EHL. Est-ce un challenge supplémentaire?
Le plus gros challenge serait plutôt que je mesure 1,57 mètre (rires)! Pour mon genre, j’ai l’habitude de me bagarrer depuis que je suis en cuisine, soit la moitié de ma vie. J’ai compris que c’est uniquement comme cela que je me ferai ma place. Celles et ceux qui me connaissent savent que je peux avoir un caractère trempé… J’ai envie de prouver que même si on est «une p’tite femme», on peut s’imposer. Et si je peux être un exemple pour les étudiantes de l’école, je n’en serai que plus heureuse.
Travailler avec des étudiantes et des étudiants n’est pas anodin. Comment comptez-vous aborder cet aspect?
Plus jeune, j’aurais eu envie de devenir enseignante, c’est donc une belle manière de combiner cuisine et pédagogie. Puis il faut se rappeler que nous sommes avant tout dans un restaurant où chaque personne compte. Certaines n’ont jamais coupé une carotte, mais ce n’est pas une tare. C’est même un avantage, car si nous autres cuisiniers allons apprendre un savoir-faire aux étudiants, eux, viendront avec leur bagage culturel et culinaire, et nous apporteront beaucoup aussi.
Des points au GaultMillau et une étoile au Michelin, ce n'est pas rien, mais vous aviez déjà ces récompenses au Flacon. Verra-t-on une Lucrèce Lacchio à 17 ou 18 points?
Pourquoi pas! Cet été, Christian Segui et moi parlions de cela, et il martelait que si je veux décrocher une étoile, je dois viser deux étoiles. Et si je souhaite 16 points, la cible doit être 17 ou 18 points. Si l’on met de côté les guides, mon objectif principal pour le restaurant est d’aller plus loin, être plus précis dans les saveurs, les dressages et le service. À vingt en cuisine, ça va le faire. Au boulot!
Donnez-nous envie… Autour de quels produits votre première carte sera-t-elle articulée?
Les légumes racines, les champignons comme les cèpes que j’apprécie, mais aussi la chasse, qui arrivera rapidement. Je ne souhaite pas proposer plus de deux plats de chasse, mais accentuer sur le marin et le lacustre. J’ai d’ailleurs pris contact avec le poissonnier pour qu’il me prépare une jolie sélection de saison.
Vos cartes précédentes comportaient toujours un œuf. Le verrons-nous au Berceau des Sens?
Evidemment! Même si je ne sais pas encore de quelle manière… Rendez-vous fin septembre!