Vient d’ouvrir. «Dans le noir», c’est un concept décliné dans une douzaine de restaurants: de Paris (la maison mère) au Caire en passant par Londres, Strasbourg, Nantes et bientôt la Nouvelle-Zélande, on s’y attable dans la pénombre complète pour déguster des menus gourmands et des vins assortis. Le service est assuré par une brigade attentionnée de personnes malvoyantes. Et, à Genève, le dernier né des maillons de la gamme a été inauguré le week-end passé dans une salle sans lumière du Ritz-Carlton Hôtel de la Paix. Une fois n’est pas coutume, je me suis laissé inviter. Et j’ai bien aimé (pas le fait d'être invité! Mais le repas dans la nuit).
Après le cocktail, la nuit. Tout commence par un cocktail servi au bar de l’hôtel. Avec la lumière, à ce stade, mais dans un verre… noir. Alors on devine, on tâtonne, on croit déceler des notes de cacao et on s’égare dans les saveurs. Mais il est déjà temps de passer à table, dans la salle plongée dans la nuit. Là on avance en groupes, en se tenant par les épaules pour arriver à sa chaise, sans la voir, pas plus que la table d’ailleurs, ni les autres convives attablés que l’on entend discuter. Et voilà notre guide et serveur qui nous explique comment verser l’eau dans son verre sans inonder la table (pas si simple!) et qui apporte l’entrée.
On joue aux devinettes. Quand l’assiette arrive, il y a de quoi délier les langues: qu’est-ce que c’est? Une purée, lance l’un. «Et il y a une émulsion, mais aussi des billes croustillantes», ajoute une autre voix dans la nuit. Le vin? Personne ne sait s’il est rouge ou blanc. Un peu trop chaud sans doute. Mais aucune idée de cépage ou de région. «Moi j’aime bien», conclut une souriante voix sans visage. Quelques fourchettes et morceaux de pain tombés par terre plus tard, arrive le plat. Du vinaigre, du poisson… de la carotte peut-être, ou est-ce autre chose? Maintenant je sais tout, mais sous peine de spoiler la surprise, je ne vous révélerai rien.
Entre la projection et la réalité… En tous les cas, le chef, Pascal Fourdrinier, fait un beau travail. Et lorsqu’à la fin du repas, en sortant dans la lumière, on découvre les photos des plats dégustés, on réalise à quel point, sans la vue, notre perception est faussée. Là où on croit déguster une énorme platée, on découvre un dressage délicat et des portions-dégustation! Et le dressage qu’on a fini par explorer à tâtons avec les doigts est en fait digne d’une grande table. Seul élément négatif, le bruit: dans le noir, les convives tendent à hausser le ton. Et c’est un peu fatiguant pour les autres. Mais qu’importe, parce qu’on s’amuse, on rit, on joue aux devinettes et l’on repart enrichi d’un vécu insolite. A faire de préférence en groupe, entre amis ou entre collègues. Tiens, le prochain souper de boîte, c’est quand?