Roi du cervelas. «Le nez est particulier», «une finale agréable, avec de belles notes fumées», «une attaque vive et franche». On pourrait se croire à une dégustation de vins. Surtout que la scène se déroule au Domaine viticole des Marnes à Constantine (VD). Sauf que ce 20 mars, la cinquantaine de juges évaluent… des cervelas, dans le cadre de la deuxième édition du Swiss Cervelas Summit, compétition nationale qui doit couronner le Roi du cervelas 2025, le 7 avril à Berne.

 

«Un sketch». Si vous vous dites que c'est n'importe quoi, c'est normal. Les organisateurs aussi ont eu la même réflexion au départ. L'idée-même d'un concours de cervelas, qu'on grille généralement au coin du feu, a germé dans l'endroit le plus improbable qui soit: sur le rooftop d'un palace, le Royal Savoy. Alors qu'il était installé avec des amis, Hans-Ruedi Gerber a vu un brasero posé sur la terrasse. La connexion s'est vite fait dans son esprit de boucher à la retraite: «Et si on faisait un concours du meilleur cervelas?» Tout le monde a rigolé, avant d'accepter l'idée. Même le palace lausannois fait partie des sponsors de l'événement! «C'est un peu un sketch, c'est vrai. Personne n'y a vraiment cru au départ, mais ça a marché», résume Christophe Pasche, l'organisateur du concours pour la société GWS, connue pour le Mondial du chasselas.

Swiss Cervelas Summit

Hans-Ruedi Gerber dit avoir eu l'idée du Swiss Cervelas Summit non pas autour d'un feu de camp, mais… au Royal Savoy!

Swiss cervelas Summit

L'odeur du cervelas compte pour 14% de la note finale, saisie sur les smartphones. Elle doit présenter un équilibre entre les épices, le fumé et la viande. 

Savoir-faire de boucher. Si le cervelas fait partie de l'identité culinaire suisse, il reste néanmoins associé à une image de produit industriel plutôt bas de gamme, un gloubiboulga de viandes douteuses dont les bouchers feraient de la chair à saucisse pour ne rien gaspiller. Le Swiss Cervelas Summit vise à corriger cette image par ce concours qui permet d'élever la qualité, année après année. Avant d'en faire un véritable produit gastronomique? Nous n'y sommes peut-être pas encore. Mais qu'importe, «l'événement permet de faire parler d'un superbe produit carné et de mettre en avant le savoir-faire des bouchers», assure Hans-Ruedi Gerber. 

Swiss Cervelas Summit

L'inspection commence au niveau visuel: la forme et la couleur sont évaluées par les juges.

Swiss Cervelas Summit

Vernis à ongles et saucisses: à peine 10% de femmes parmi les juges.

Boyau de bœuf. Aujourd'hui, les artisans bouchers préparent le cervelas en mixant des chutes de bas morceaux de bœuf et de porc, avec du lard, de la couenne, et environ 20% de glace (pour éviter de trop chauffer la viande et préserver sa consistance). L'enveloppe est fabriquée avec du boyau de bœuf d'importation. «Les recettes et les procédés sont codifiés par l'Union suisse des bouchers, rappelle Hans-Ruedi Gerber, mais le savoir-faire des bouchers peut s'exprimer dans la fabrication, notamment au niveau du mélange d'épices, dont la composition est laissée à leur libre appréciation». Chaque artisan a son petit mélange secret. Cannelle, gingembre, muscade ou encore clous de girofle sont souvent utilisés.

 

Le cervelas, une flûte? Quant aux origines du cervelas, elles sont complexes à démêler. On en trouve des premières traces écrites dès la Renaissance, en Italie, avec une certaine proportion de cervelle de porc ou de veau, d'où il tient son nom. Le site du Patrimoine culinaire suisse y voit plutôt une ressemblance avec le cervelas (ou ranquette), sorte de cousine courtaude de la flûte.

Swiss Cervelas Summit

Le chef Edgard Bovier a prêté son fin palais pour juger les cervelas.

Edgard Bovier en guest-star. Cette année, 128 cervelas sont en compétition. La dégustation du jour consiste en 14 échantillons, sept crus et sept cuits vapeur. Non, aucun n'est grillé à la flamme, cuisson trop aléatoire pour un concours, où l'on doit respecter l'équité entre les produits. À notre table, les juges font connaissance: un avocat, un caviste, une responsable marketing et même un grand chef: Edgard Bovier! Les saucisses sont évaluées selon plusieurs critères: couleur de l'enveloppe, odeur, texture, équilibre des saveurs… Si le cervelas totalise plus de 86 points, il est dit «très bon». Au-delà de 89, il est noté «excellent». Les cinq meilleurs froids et chauds recevront un trophée, et le mieux noté au classement général sera élu «Roi», le 7 avril à Berne.

 

Swiss Cervelas Summit

L'organisation a pensé à tout: pour éviter les doigts gras sur les smartphones, des stylos à l'embout tactile ont été distribués aux juges.

Swiss Cervelas Summit

Chaque cervelas est présenté à l'aveugle, avec un code pour l'identifier. L'enveloppe est systématiquement ôtée.

Sévères, mais justes. Mais pour devenir roi, il faut d'abord séduire Edgard Bovier et ses acolytes, et à voir la grimace sur le visage du chef, ce n'est pas gagné. Il soulève la première saucisse, l'inspecte, la renifle et la repose. Il l'épluche comme une banane, en découpe une fine tranche et la mastique, l'air grave. Verdict: «C'est un cervelas un peu basique, très moyen. Il y a trop de gras une fois en bouche». Les juges lui donnent 78 points. Sévère, mais juste: les défauts de texture de la pâte, d'odeur, même une couleur trop pâle, sont immédiatement sanctionnés. Au fil de la matinée, à cette table, un seul cervelas obtient 89 points. «Enfin un cervelas qu'on a envie de manger!» sourit Edgard Bovier.

 

Foire à la saucisse. La matinée se poursuit dans une ambiance bon enfant, mais concentrée. «Il faut être équitable avec chaque cervelas, du premier au dernier», dit Edgard Bovier. Après Constantine, nos voisins alémaniques se réuniront le lendemain à Hornussen (AG) pour procéder à une même dégustation, avant le verdict final. Qui sera le roi? Réponse le 7 avril prochain.

 

Photos: François Wavre / Lundi 13