Textes: Siméon Calame et Knut Schwander
«Promu de l’année»: passage de témoin réussi! C’est au Théâtre, à Monthey, qu’Ilario Colombo joue de talent. 17 points et des émotions pour son oncle Mauro Capelli.
(Grande photo ci-dessus: Esteban Valle, Grégory Halgand et Ilario Colombo)
Il cuisinait pour s’occuper. Chaussettes bardées de canards, casquette multicolore aux couleurs de Miami et pantalon en lin large: le style d’Ilario Colombo tranche avec la sobriété de son oncle Mauro Capelli. Et pourtant, les deux hommes ne font qu’un au Restaurant du Théâtre à Monthey. De 14/20 en 2017, la seule table de la ville répertoriée dans le GaultMillau est passée à 15 en 2018 avant d’encore grapiller un point en 2021. Et ça continue, puisque cette année, Ilario, car c’est désormais lui le chef, décroche un dix-septième point et reçoit le titre de «Promu de l’année». Une sacrée reconnaissance pour ce jeune père qui «a choisi la cuisine pour s’occuper», mais aussi pour son oncle, qui dirige le Théâtre depuis 2005 et connaît (presque) tous ses clients personnellement.
De gros travaux en cuisine. «Plus jeune, je m’ennuyais à la maison, alors je regardais ma grand-maman cuisiner, sourit Ilario. Au fil du temps, c’est devenu une habitude de préparer à manger avec elle. Lorsque j’ai dû choisir un métier, l’école hôtelière s’est imposée d’elle-même.» Le jeune homme passe donc trois ans à San Pellegrino, puis part pour Monthey, chez… Mauro Capelli. Il travaille ensuite au Danemark et à Nice. Second de cuisine, il y apprend à mener une équipe et un budget. Mais en 2016, il revient au Théâtre jouer un rôle qu’il exécute à merveille. «La transmission des cuisines, de moi à lui, s’est faite petit à petit à l’arrivée de la pandémie, explique Mauro. En 2021, nous avons effectué de très gros travaux, qui permettent aujourd’hui à Ilario de vraiment faire ce qu’il veut.»
Plus de 600 références en cave. Très complices, Mauro et Ilario se rendent leurs sourires, terminent les phrases l’un de l’autre et semblent se connaître comme personne: «Ce sont mes grands-parents, les parents de Mauro, qui m’ont élevé, souligne le neveu. Nous sommes un peu comme deux frères.» Mais l’un a 34 ans et l’autre 67. C’est l’aîné qui complète: «Nos manières de voir la cuisine sont similaires, mais nous l’abordons différemment. Je cuisinais beaucoup à l’instinct alors qu’Ilario construit véritablement ses plats et reste sur sa ligne, en valorisant un produit à la fois.» Si Mauro n’est plus en cuisine, c’est lui qui choie ses hôtes et leur raconte sa carte des vins. Une carte qu’il a construite depuis des années: aujourd’hui, les clients peuvent choisir leurs bouteilles parmi plus de 600 références.
Espiègle farceur. Le jour de notre rencontre, quelques jours avant la sortie du guide 2024, un chasseur venait d’apporter un cerf de 145 kilos et, le lendemain, le duo attendait trois chamois en provenance des montagnes avoisinantes. D’une grande sensibilité et d’une fine espièglerie, Mauro Capelli avoue qu’en période de chasse, il aime parfois «ronger un petit os de chamois» en cuisine. Outre la viande, la provenance des produits est devenue de plus en plus locale au fil du temps. D’ailleurs, Mauro, propriétaire d’un petit chalet à 1’000 mètres d’altitude, y a créé un jardin d’une quarantaine de mètres carrés, cultivé en permaculture. Une grande partie des légumes, herbes et plantes est destinée au restaurant. Pour valoriser le beurre par exemple, fumé puis parfumé aux herbes de montagnes avant d’être servi avec du pain et des grissini maison. «Lorsque j’ai pris la gérance du Théâtre, je voulais en faire un restaurant unique. Je pense que c’est réussi», sourit Mauro. Le GaultMillau aussi.
«Découverte de l’année»: direction Ollon! Grégory Halgand et Audrey Feutren reçoivent la distinction tant convoitée: «une sacrée reconnaissance!»
Le weekend qui a tout changé. Distingués «Découverte de l’année» et décrochant 15 points d’entrée dans le guide 2024, Grégory Halgand et son épouse Audrey Feutren, respectivement chef et pâtissière-sommelière de l’Hôtel de Ville d’Ollon, ont eu chaud, à peine quatre mois après leur arrivée en avril 2022: «Le weekend du 20 et 21 août 2022 fut celui où tout a basculé, assène Audrey dans un sourire complice à son mari. Nous devions assurer la nourriture pour la course Ollon-Villars, un véritable rendez-vous dans la région, et nous savions que nous étions attendus… par 8’000 personnes!» 500 burgers, 400 saucisses, 10 meules de raclette, 30 fûts de bière et 100 filets de bar plus tard, le couple pouvait être rassuré: tout s’était bien passé et mieux, le duo était d’une certaine manière «validé» par le village et ses alentours. Car ce n’était pas couru d’avance.
D’étoilé en étoilé. Si Grégory et Audrey ont maintenu le côté brasserie, où ils servent notamment des plats du jour à 24 francs, entrée comprise, c’est bien avec un bagage étoilé qu’ils sont arrivés à Ollon. Le couple s’est formé au Relais Bernard Loiseau (France, triplement étoilé à l’époque), avant que Grégory ne travaille au George V et à la Tour d’Argent à Paris, puis qu’à deux, ils rejoignent le Royalp à Villars (VD) et le restaurant du golf de Pont-la-Ville (FR).
Une cave locale. En distinguant la table gastronomique de l’Hôtel de Ville d’Ollon du titre de «Découverte de l’année» 2024, le GaultMillau choisit de mettre en lumière un couple aux talents complémentaires. Grégory au salé, Audrey au sucré, mais aussi en «hôtesse attentionnée» comme le précise le guide. C’est elle qui guide ses clients avec un choix tournant de vins très locaux, mais aussi d’un peu plus loin, comme le scheurebe de Marc Ramu au Clos des Pins, à Dardagny (GE), «un coup de cœur»! «Environ 90% des clients optent pour un accord mets-vin, ajoute Audrey. Cela me permet de m’amuser et de toujours chercher des nouveautés.» La dernière en date? Le merlot «Ronco delle noci» de la cave Tenuta Luigina, à Stabio (TI).
La cueillette du mercredi. «À midi, le plus grand de nos trois enfants (7, 12 et 14 ans) vient manger au restaurant avec ses copains et nous leur préparons le plat du jour, explique Grégory Halgand. Cela nous permet de le voir un petit peu plus, car certains services terminent tard et nous profitons donc de chaque petit moment.» Seul en cuisine avec une plongeuse, Grégory déniche ses idées notamment lors des cueillettes du mercredi. Résultat, «un saint-pierre, absolument parfait, délicatement dressé sur une rose de concombre coiffé d’une espuma aérienne à la poudre de livèche. Un bonheur», insiste le guide 2024. Qui mentionne «le fromage de chèvre [...] travaillé en mousse à la verveine, une gourmandise absolue, [...] une tartelette aux fraises maras des bois et aspérule odorante», avant de conclure: «Le pavé truffé aux bourgeons de sapin est incontournable.» L’Hôtel de Ville d’Ollon, une chance pour le Chablais!
Le roi des découpes et des flambés! Esteban Valle sublime en salle le travail de Philippe Chevrier en cuisine. Le tout avec bonne humeur!
Il veille sur Châteauvieux. Chaque année, le GaultMillau distingue des cuisiniers. Mais pas seulement! En effet, un repas au restaurant dépend aussi de l’atmosphère et de la qualité du service. C’est pourquoi le guide récompense au moins une personnalité qui veille sur la salle avec un talent particulier. Un homme ou une femme qui sait rendre inoubliable le vécu des clients. Cette année, cet honneur échoit à Esteban Valle Trujillo, directeur du restaurant de Philippe Chevrier, le Domaine de Châteauvieux, à Satigny: une table exceptionnelle qui maintient sa note à 19/20 depuis des années.
Auteur à succès. Car, même si la note ne concerne que la cuisine, Esteban Valle Trujillo n’y est pas étranger. Animateur-né, ce volubile et joyeux virtuose du service a en effet fait des découpes en salle et des flambages sa spécialité. Il a même publié un livre sur ce sujet. Chaque jour, devant les convives, il découpe avec doigté de juteuses volailles de Bresse et détache avec brio la chair des plus nobles poissons. Puis, au moment du dessert, c’est encore lui qui avance le chariot, puis fait grésiller sucres, fruits et alcools fins dans sa poêle en cuivre, avant d’y mettre le feu et d’éblouir toute la salle, aussitôt envoûtée par les effluves irrésistibles de ses desserts délicieux.
Photos: Adrian Bretscher et Lorena Widmer