Rencontre impromptue. Chef et surtout auteur de best-sellers culinaires, l'Anglo-israélien Yotam Ottolenghi (en grande photo ci-dessus) était de passage à Genève le 9 novembre, pour la tournée promotionnelle de son dernier ouvrage, «Comfort». Alors, c'est au dernier étage du Mandarin Oriental Geneva, ce Swiss Deluxe Hotel bordant le Rhône à Genève, que nous avons conversé une demi-heure avec cet homme à la bienveillance marquée, par ailleurs propriétaire d'une petite dizaine de restaurants à Londres. Le choix du lieu était évident, car comme nous vous l'avions annoncé en septembre, l'homme aux centaines de milliers de livres vendus à travers la planète y ouvrira un restaurant au premier semestre 2025. Le premier en dehors de la capitale britannique! Pourquoi Genève, y proposera-t-il des ateliers, pourquoi apprécie-t-il tant de célèbres biscuits bâlois? Une multitude de questions auxquelles le chef au lumineux sourire a répondu, sans fard.
Yotam Ottolenghi, pourquoi choisir Genève pour votre première table en dehors de Londres?
Il y a deux raisons principales à cette ouverture, ainsi qu'une plus émotionnelle. Genève est au cœur de l'Europe, c'est une cité internationale et urbaine où résident de nombreux amateurs de la marque Ottolenghi, en particulier des livres et de l'épicerie. Deuxièmement, une opportunité s'est présentée avec le Mandarin Oriental Geneva, et nous avons sauté sur l'occasion d'initier une jolie aventure. De plus, j'ai créé une vraie connexion avec la Suisse depuis petit, venant plusieurs fois dans les Alpes et à Zurich. La CEO de l'entreprise et cofondatrice principale d'Ottolenghi, Cornelia Stäubli, est Suissesse, et elle m'emmène volontiers avec mes enfants skier dans vos belles montagnes. Je suis vraiment content de cette ouverture à Genève!
Vous semblez effectivement avoir un lien particulier à la Suisse. Vous aviez même publié une recette de «Brunsli», des biscuits aux épices de Bâle, dans votre livre «Simple».
Oui, c'est juste! C'est justement Cornelia qui a proposé d'ajouter cette recette dans l'ouvrage, comme une jolie recette de Noël. Composé d'une nuée d'épices, c'est un biscuit qui fonctionne bien avec mon identité culinaire. C'est l'une de mes recettes préférées du livre!
La Suisse est une terre d'accueil régulière pour des chefs étrangers qui ouvrent des restaurants «étendards», à l'instar d'Anne-Sophie Pic, Emmanuel Renaut ou encore Eric Frechon. Y'a-t-il une vraie cohérence entre notre pays et votre cuisine?
Je pense que la Suisse regorge de bonnes matières premières, qui ne se résument pas aux seuls produits laitiers et au chocolat. À l'instar de ce que nous faisons à Londres, nous travaillerons à Genève avec des acteurs locaux, en optant pour des légumes et des herbes d'ici et d'excellente qualité. Je mentionne principalement cette catégorie d'ingrédients, car dans les restaurants ROVI, nous misons principalement sur le végétal, le gril et les fermentations.
Comment pensez-vous vous démarquer dans une ville internationale qui comprend déjà une myriade de restaurants et de styles de cuisine?
J'estime que nous n'avons pas besoin de changer grand-chose à la ligne originale d'Ottolenghi pour nous démarquer. Ma cuisine est pleine de contrastes, et si vous avez des ingrédients de base, vous pouvez les twister avec des épices, des herbes, des petites sauces... Nous nous concentrerons sur ce que nous savons faire de mieux: les légumes, de mille manières. Je sais qu'il y a beaucoup de bons restaurants à Genève, mais c'est pareil à Londres, et nos convives se déplacent tout de même, car ils voient en notre ligne culinaire quelque chose d'unique. Le meilleur exemple est le shawarma de céleri, un plat emblématique depuis l'ouverture à Londres, et nous le proposerons bien sûr ici: un pain pita garni de céleri cuit au gril, d'un condiment tunisien, de crème fraîche et de piment. Un plat qui attire beaucoup d'épicuriens!
Cela donne envie! Et amène une autre question: vous considérez-vous comme un pionnier de la cuisine végétarienne à travers le monde occidental?
Non, pas un pionnier. Plutôt un acteur prépondérant. Cela fait quinze à vingt ans que nous rendons accessible la cuisine végétarienne (mais pas uniquement) au monde occidental. Le monde végétal est au centre de l'assiette dans un grand nombre de cultures, moins en Occident. Toutefois, je prône l'alimentation raisonnée en vantant le «flexitarisme», pour utiliser un terme moderne. Je ne souhaite pas «ghettoiser» la manière de manger. Je pense ainsi avoir rapproché les aliments végétaux du cœur de l'assiette en leur donnant une place de plus en plus grande par rapport à la viande et au poisson. Sur mes cartes, les légumes se trouvent même avant ces deux derniers!
Les gens ont appris à cuisiner avec vos livres. Pensez-vous, ici à Genève, aller plus loin et proposer des cours?
Ce n'est pas dans les plans (rires), mais avec le temps, c'est une idée que nous pourrions éventuellement creuser. Il faut cependant bien différencier les plats proposés dans les livres, plus simples, de ceux que nous proposerons au restaurant, plus travaillés.
Vous dédiez votre dernier livre «Comfort» à la nourriture réconfortante. Quelle est votre définition d'une nourriture réconfortante?
Je suis heureux que vous me posiez cette question, car c'est une grande partie du propos que je tiens lors de ma tournée actuelle. La «comfort food» est un concept très personnel, et ma définition est un peu compliquée (rires). La plupart des gens mentionneront les clichés de la nourriture suisse, car elle comprend beaucoup de fromage, de pain, de pommes de terre, des ingrédients riches. C'est une définition. Pour moi, c'est une histoire d'émotions, de nostalgie, de souvenirs. C'était une question centrale lors de l'écriture de cet ouvrage, car nous sommes quatre co-auteurs et chacun a son histoire, son propre rapport à l'alimentation. Néanmoins, il y a quelques ingrédients qui traversent les cultures et qui caractérisent bien la notion de nourriture réconfortante. Je pense principalement aux pâtes, aux nouilles. Outre les ingrédients, les textures jouent aussi un rôle dans ce concept, et j'illustre cela avec le poulet. On l'apprécie en bouillon, rôti, la peau craquante, en salade, tendre... Chaque personne qui consomme de la viande trouvera son bonheur dans le poulet.
Vous en êtes à 12 livres. Peut-être un treizième intitulé «Geneva»?
Peut-être, on ne sait jamais! Mais je suis curieux et j'aime apprendre de chaque endroit où je me rends. Ici, je vais assurément m'initier à la culture helvétique, et si quelque chose doit se concrétiser, cela se fera.
Entre les livres et les ouvertures de restaurants, est-ce que vous vous considérez encore comme cuisinier?
C'est difficile de dire, car cela fait vraiment longtemps que je n’ai pas cuisiné durant l’un des services de mes restaurants. Par contre je passe beaucoup de temps dans la cuisine test, pour les recettes relatives aux livres. Je me considère comme un intermédiaire entre le monde professionnel et la vie de tous les jours.
On ne peut pas passer outre cette question: visez-vous, ici au Mandarin Oriental Geneva, une distinction gastronomique comme une entrée au GaultMillau par exemple?
Est-ce moi qui le décide? (rires) Plus sérieusement, ce n'est pas l'objectif. La considération principale est de faire plaisir à mes convives et qu'ils se sentent bien. Si notre table attire les guides et qu'ils en font quelque chose, cela serait un bonus gratifiant. Mais ce n'est pas sur ma liste de priorités.
Pour terminer, une interrogation que l'on se pose souvent avec les grands noms de la scène gastronomique internationale: mangez-vous des plats simples comme des pâtes au pesto?
Oh oui, bien sûr! Je cuisine et mange rarement des plats comme ceux disponibles dans les restaurants. De temps en temps, cela fait plaisir, mais cela dépend du moment. Un plat de riz avec du fromage et du poivre et je suis heureux!
Photos: DUKAS/PA PHOTOS, Mandarin Oriental Genève, DK Verlag/Jonathan Lovekin, Ying Tang/NurPhoto