Surenchère. Grâce aux propriétaires d’hôtels et de restaurants fortunés et épicuriens qui y font venir des chefs prestigieux, Rougemont – 910 habitants – se profile en véritable épicentre gastronomique aux portes de Gstaad. Et – nous vous l’annoncions en avant-première – le dernier chef arrivé dans la station n’est pas des moindres, puisqu’il s’agit de Benoît Carcenat, surnommé Benoît II parce qu’il était chef chez Violier à Crissier. Après avoir étincelé à l’Ecole hôtelière de Glion, ce brillant cuisinier, Meilleur Ouvrier de France, vient ici avec de grandes ambitions. Mission accomplie: son repas inaugural restera dans les mémoires!
Une tuile à l’amarante ouvre les feux, agrémentée d’artichaut et de sureau: un mariage tout en subtilité et en harmonie, en tête d’une kyrielle de mises en bouche prometteuses. Le style Carcenat s’y lit d’emblée: subtil et puissant. Pour la salle et les vins, le chef a recruté deux talents: Mathieu Quetglas, le sommelier passé de l’Hôtel de Ville de Crissier à la Maison Wenger au Noirmont, va bientôt rejoindre Antoine Tarlier, que l’on se souvient avoir croisé chez Didier de Courten. Ils ont imaginé des accords mets-vin (mais aussi mets-saké ou mets-bière!), comme cet insolite chardonnay de Majorque qui donne la réplique à la truite de Neirivue orange vif, en superbe dressage où concombre et citron d’Amalfi jouent les accords parfaits avec de délicats cylindres de caviar. Suivent les jolies girolles boutons sur croustille et crumble de sarrasin, assorties d’une émulsion au café arabica qui envoûte les sens. Avec la lotte, c’est un saké parfumé et rustique qui vient donner la réplique à un plat où le dashi de colrave et un kudo merveilleux s’adonnent à un incroyable jeu de saveurs exotiques.
Menu unique, en sept ou neuf plats. Les habitués des röstis et des malakoffs seront un peu bousculés par cette formule, même si le bar de la maison continue à proposer une petite carte. Le menu, lui, se poursuit avec le homard. La pince d’abord, graphique et millimétrée, assaisonnée de poudre de petits pois et d’une fleur de silène enflé: une bouchée exquise et raffinée. Puis vient la chair translucide et craquante du crustacé. Elle se présente en élégant dressage où la baby carotte contraste avec le vert vif des petits pois. Le lard du pays y apporte la touche rustique, qui tend cependant à emporter les subtiles notes marines. Mais c’est bien la seule petite retenue que l’on pourrait formuler tant le premier menu de Benoît Carcenat est enthousiasmant.
Voici une bière à la cerise du val d’Anniviers pour se fondre en harmonie idéale avec un épatant pigeon dont la patte, spectaculairement dressée, est caramélisée et dont le suprême tendre et goûteux arrive laqué à la cerise. Des mini-rouleaux de betterave parfont ce tableau gustatif exquis. Et si vous ne saviez pas qu’il existait du turiga nacional à Genève, voici l’occasion de le découvrir avec un excellent bœuf de Saanen aux accents sud-américains, rehaussé de piment et d’olives, de pommes soufflées et de fleurs des prés. Les fromages sont locaux. Puis une limonade de sureau maison se profile en délicat prédessert, avant la pêche en soupe à la bière blanche et à la sauge. Et, enfin, le «vrai» dessert, au miel et aux céréales, merveilleusement doux mais pas saturé en sucre: un vrai chef-d’œuvre de gourmandise raffinée. Rendez-vous au Valrose!