Photos: Julie de Tribolet
«Have fun», lance Andreas Caminada sur un ton relax de départ en vacances. Et pourtant, le charismatique chef du Schloss Schauenstein, dans les Grisons (19/20), s’adresse à la brigade de service du Beau-Rivage Palace, à Lausanne, une demi-heure avant l’entrée en salle des convives d’une soirée unique. Celle qui va marquer les 10 ans d’excellence du restaurant Anne-Sophie Pic, dans le cadre hyper-raffiné de ce palace membre des Swiss Deluxe Hotels, qui fait face au Léman depuis plus de cent cinquante ans.
Dream team. Pour que la fête d’anniversaire soit inoubliable, l’emblématique Anne-Sophie Pic (18,5/20 à Valence, 3 étoiles Michelin) a convié le talentueux chef suisse pour un dîner à quatre mains unique. De quoi faire salle comble en quelques clics après l’annonce de ce repas réservé à 56 bienheureux épicuriens. Le GaultMillau Channel en était, pour tourner une vidéo en cuisine, voir les deux chefs interagir et observer les convives attablés. Anecdotes et ressenti.
En salle. Nappes blanches, cristal étincelant, cliquetis de l’argenterie: tout est en place pour que la fête soit une réussite. «Cette suite de plats, c’est du jamais vu», lance un grand collectionneur de vins et de bonnes tables à l’adresse de sa famille attablée autour de lui. Ils viennent de déguster le ris de veau, persil et pickles de légumes d’Andreas et s’apprêtent à attaquer le bœuf du val d’Hérens d’Anne-Sophie. Ces deux plats principaux d’un raffinement étourdissant surviennent après une farandole de bouchées exquises, de dressages millimétrés et de surprises gourmandes.
En bouche. Une poétique rose de colrave par ici, un omble chevalier divin par là. Et les incontournables «berlingots» signés Pic, ode à la volupté qui concilie à merveille vacherin fribourgeois et truffe noire, donnent la réplique à un bouillon idéal de betterave où barbote une raviole de bœuf inoubliable, griffée Caminada. L’asperge se pare d’une glace à l’anis vert, une vraie merveille printanière. Et le chou blanc glacé, un classique de Schauenstein en millésime 2015, répond à merveille à un sauvignon blanc d’Irene Grünenfelder. On salue au passage les accords mets-vins ciselés, fruit des talents conjugués des équipes de sommellerie du Beau-Rivage (Edmond Gasser), du restaurant Pic à Valence (Paz Levinson) et du Schloss Schauenstein (Anna Jung, «Sommelière de l’année» 2019): «C’est du grand art», conclut une spécialiste française du vin, qui a fait le déplacement exprès depuis Paris.
En coulisses. Mais avant le repas, pendant tout l’après-midi de ce 26 mars, le Beau-Rivage Palace a vécu au rythme d’une ruche en ébullition. Un méga-congrès s’est annoncé à la dernière minute: «C’est ainsi, il y a des dates que tout le monde veut!» constate, stoïque, Nathalie Seiler-Hayez, la directrice de l’hôtel. Mais il en faut plus pour perturber ce grand palace de charme à l’organisation optimale. Au sous-sol, les cuisines sont lourdement sollicitées: avec les caméras en plus, on se croirait sur le tournage d’un épisode de Downton Abbey.
Ange et démon. Et pourtant, Anne-Sophie Pic et Andreas Caminada survolent. Ils ne se laissent pas troubler par les caméras, pas fatiguer par l’enchaînement des interviews, pas détourner de leur mission: envoyer une douzaine de plats parfaits à leurs admirateurs. Autoritaires, mais sereins, ils dirigent leurs troupes jusqu’à passé minuit, au moment des applaudissements: «J’ai adoré travailler avec Andreas! Il est adorable!» lance Anne-Sophie, dans sa tenue blanche immaculée. L’occasion pour Andreas, toujours habillé en noir, d’ajouter: «She’s like an angel... I’m like a devil» («Elle est comme un ange... Moi, comme un démon»). En tout cas, leur collaboration tient du divin.