Le plus tard sera le mieux. «J’évalue à 50% la baisse de mon chiffre d’affaires au cours des huit prochains mois. Et plus on ouvrira vite, plus on perdra d’argent», affirme Claude Frôté, le chef du restaurant le mieux noté du canton de Neuchâtel, le Bocca à Saint-Blaise (17/20). Il n’est de loin pas le seul à le penser. Pourquoi? Parce que les clients ne vont pas revenir tout de suite: «Les premiers jours, il y aura bien un regain d’enthousiasme de la part de ceux qui peuvent se le permettre. Mais les clients plus âgés se montreront prudents, les repas d’affaires seront quasi inexistants, et tous ceux qui auront perdu leur travail ou se seront endettés ne commenceront pas par sortir au restaurant.» Comme l’affirmait la conseillère fédérale Simonetta Sommaruga: «Il faut apprendre à vivre avec le virus… Nous ne pourrons pas reprendre notre vie d’avant.»

 

Réouverture le 11 mai. Dans cette perspective, une réouverture avec un maximum de quatre personnes par table et deux mètres de distance entre les groupes ne paraît donc pas forcément une bonne nouvelle. «J'espérais que ça ne serait pas aussi rapide», avoue Didier de Courten, à Sierre (19/20), même s'il se réjouit de retrouver sa cuisine. «Je suis déçu, car gouverner, c’est décider, mais c’est aussi prévoir! Or là, il n’y a aucune indication concernant la protection du personnel, on ne sait pas non plus s’il sera possible de passer une carte d’une table à une autre, ni qui sera responsable si un employé ou un client tombe malade», regrette le chef qui projette néanmoins la reprise dans son restaurant gastronomique et dans sa brasserie,  deux cas de figure très différents. «En salle, cela ne pose pas de problème, nous avons assez de place», constate Franck Giovannini, le patron de l’Hôtel de Ville de Crissier (19/20), conscient cependant que ce n’est de loin pas le cas de la majorité des autres restaurants.

 

Impossible en cuisine. Mais à quoi ressemblera alors la sortie au restaurant? «Chez Relais & Châteaux, mes interlocuteurs m’ont relaté qu’à Hongkong, en plus d’une limite très stricte du nombre des convives, la désinfection complète de la salle toutes les deux heures est imposée, ainsi que la mise en place de parois en plexiglas entre les tables» , raconte Stéphane Décotterd, chef du Pont de Brent (18/20). Sans aller aussi loin, les distances et le port de masques et de gants paraissent compliqués aux yeux d’une majorité de chefs, surtout en cuisine. Franck Giovannini est l’un d’eux: «Ouvrir, c’est une chose. Maintenir une distance de deux mètres entre les gens dans une cuisine, c’est impossible.» Celle de l’Hôtel de Ville de Crissier est pourtant vaste! Au Bocca, l’espace est plus réduit, mais «le piano a beau avoir coûté près de 100 000 francs… il ne fait pas deux mètres de large. Donc impossible de maintenir les distances de sécurité.» 

Pérolles

La salle du restaurant Pérolles (17/20) à Fribourg.

Le restaurant du futur. En salle, ce n’est pas l’impossibilité de respecter les nouvelles règles qui inquiète, mais l’effet que cela pourra avoir sur l’atmosphère. «Le scénario du restaurant où on est masqués et séparés ne me convainc pas. Mais bien entendu, s’il faut passer par là, on fera au mieux», se résigne Pierre-André Ayer, au Pérolles (17/20 ) à Fribourg. Mais tous ne montrent pas cette bonne volonté. Un autre chef, qui préfère rester anonyme, pense carrément à fermer définitivement.

 

Chômage, fermetures, vacances… «J’ai d’abord pensé à mettre tout le monde en vacances pour gagner du temps. Après tout, mon personnel a droit à ses vacances. Mais du point de vue de notre image, ce serait malvenu: les gens ne comprendraient pas qu’après des semaines sans travail, on reste fermé», se dit Claude Frôté. De son côté, Philippe Chevrier, chef du Domaine de Châteauvieux (19/20), près de Genève, et serial entrepreneur avec plusieurs restaurants aux profils très divers dans tout le canton, déclare avoir besoin d’un peu de temps: «Chez Globus, au food hall, les burger à l’emporter seront de nouveau en vente dès le 7 mai. J’espère cependant que pour Châteauvieux, où nous ne pourrons pas reprendre le travail comme avant, nous pourrons bénéficier du chômage pour nos collaborateurs jusqu’en septembre.» Une option qui semble confirmée lors de la conférence de presse du Conseil fédéral de cet après-midi: chômage et chômage partiel restent d’actualité.

 

Simplifier l’offre. «Selon les mesures précises, je ne vois qu’une solution, simplifier l’offre pour pouvoir me passer d’une partie de mon personnel et respecter les contraintes», reprend Claude Frôté. Comme lui, les chefs de grands restaurants sont unanimes: leur métier n’est pas de nourrir les clients, mais de leur apporter un loisir festif: «Est-il vraiment temps de faire la fête?» s’interroge Claude Frôté. En attendant la réponse, il prend les devants: «J’ai d’ores et déjà fait faire des tables rondes pour ma terrasse, car elles permettront de réorganiser l’espace en laissant plus de distance, mais sans que cela se voie.» Ce qui risque de ne pas passer inaperçu, en revanche, c’est le nombre de restaurants qui ne rouvriront simplement pas. Non, «nous ne pourrons pas reprendre notre vie d’avant»…

Châteauvieux

Le Domaine de Châteauvieux (19/20) à Genève.