Texte: Urs Heller

 

À CRISSIER, LE GIBIER EST UNE INSTITUTION. La seule manière de pouvoir goûter à la fabuleuse carte «Le Meilleur de la Chasse», à l'Hôtel de Ville de Crissier? C'est de réserver sa table des mois à l'avance. Mais les 24 cuisiniers de la brigade se réjouissent autant que les clients, eux qui veulent absolument pouvoir travailler ces produits exceptionnels, même s'ils sont habituellement spécialisés dans d'autres postes. C'est le sous-chef Damien Facile qui dirige l'opération, s'occupant de la livraison et du contrôle de la qualité des produits, puis, ensuite, de la préparation finale dans l'immense cuisine de Crissier. «Pour mes cuisiniers, ce sont sans doute les semaines les plus fatigantes de toute l'année, assure le chef Franck Giovannini. Mais ce sont aussi celles qui les passionnent le plus.» Le chef aux 19 points n'est pas lui-même un adepte du fusil, mais il a autrefois accompagné son ami et prédécesseur Benoît Violier, lui qui était un grand chasseur. Et il préserve aujourd'hui cette tradition dans cet antre de la gastronomie helvétique, qui, comme toujours, affiche complet midi et soir. Pourtant, malgré ce succès, tout reste calme, en cuisine comme en salle, où personne ne semble être stressé. Le temple de la cuisine où l'on osait à peine respirer, c'était avant. Aujourd'hui, à Crissier aussi, on sait être décontracté.
(Grande image ci-dessus: chamois des Diablerets caramélisé à l'échalote avec une touche de foie gras)

Franck Giovannini

Si l'automne est la haute saison à Crissier, Franck Giovannini reste serein à la tête de ses 24 cuisiniers.

MARCO, SPÉCIALISTE DES PLUMES. Monsieur Marco est casserolier à Crissier, depuis 22 ans déjà. Mais pendant la saison de la chasse, il change de travail. Il devient spécialiste du plumage des oiseaux sauvages qui sont livrés au restaurant, ce qu'il fait avec beaucoup d'habileté et une vitesse impressionnante. «Marco reçoit d'ailleurs une prime spéciale pour ce travail, explique Franck Giovannini. En outre, comme il tient un compte précis de chaque volaille, le patron sait exactement combien sont passées à la casserole au total. Soit 1500 oiseaux pendant la saison de la chasse!» Ce qui est un véritable défi pour la brigade, tant la préparation de ces viandes est délicate. «Il faut toujours être extrêmement attentif», explique le chef, qui contrôle, imperturbable, la qualité de chaque plat sortant de ses cuisines.

Hotel de ville Crissier

Les élégantes ravioles farcies à la viande de chevreuil, accompagnées d'une réduction de porto-madère.

DU CHEVREUIL DANS LES RAVIOLES. Lorsque le restaurant de Crissier publie son menu chasse, on n'y trouve jamais les habituelles selles de chevreuil ou civets de cerf. Ici, la carte propose des produits que l'on ne voit quasiment dans aucun autre restaurant. Du perdreau gris, mais aussi du brocard (jeune chevreuil) en ravioles, proposées en début de repas. À l'intérieur, un élégant effiloché de chevreuil, dont un peu de chair parfaitement rôtie complète également le plat. Le tout est accompagné de champignons et surtout, d'une enthousiasmante réduction de porto-madère.

ATRIAUX DE SANGLIER AUX TRUFFES. Vient ensuite le tour du sanglier, la «bête rousse», comme on dit ici à Crissier. Une chair puissante, préparée en atriaux, eux-mêmes emballés avec du chou vert et rehaussés d'un peu de foie gras et de quelques lamelles des premières truffes d'Alba. Cela fait toute la différence! Franck Giovannini étant un homme généreux, la quantité de truffe l'est aussi. Ce qui représente, au final, une consommation hebdomadaire de 4,5 kg de truffe blanche pour le restaurant. Quand on sait qu'actuellement, un kilo coûte 4400 francs, on vous laisse faire le calcul. Nous, on se contentera de déguster le plat suivant, une tartelette de palombe des Pyrénées, magnifiquement rehaussée d'une sauce aux graines de moutarde ancienne et courge.

Hotel de Ville Crissier

Un superbe perdreau gris, accompagné d'un jus acidulé à la liqueur impériale.

 
Hotel de Ville Crissier

Une tartelette de luxe, avec de la palombe des Pyrénées, à la graine de moutarde ancienne et courge.

 

IL FAUT MALHEUREUSEMENT FAIRE DES CHOIX. À la carte, Franck Giovannini propose pas moins de quinze plats différents de gibier. Le client pourra en choisir six pour le menu chasse. Ce qui implique quelques renoncements qui déchirent le cœur. Comme, lors de notre passage, les lagopèdes d'Écosse avec une sauce aux grains nobles, le cordon bleu de pigeon ramier et le fameux lièvre à la royale de l'Hôtel de Ville. Mais tant pis, puisque les deux plats principaux choisis sont vraiment extraordinairemes. D'abord, un chamois tiré aux Diablerets (VD). Le dos est rôti sur l'os, puis tranché à table, ce qui est toujours spectaculaire. Il est accompagné d'une puissante réduction qui mélange jus de gibier, vinaigre de vin rouge et poivre. Nous n'en laissons pas une goutte. Puis vient la bécasse des bois en salmi (ragoût), au goût tellement prononcé que le maître d'hôtel insiste, lors de la commande, pour savoir si l'on désire vraiment ce plat. Elle est présentée sur un magnifique feuilleté, avec une petite cuillère pour en extraire les abats.

Hotel de Ville Crissier

Pour qui ne veut pas de gibier, la carte propose aussi des fruits de mer. Comme ces belles »Demoiselles de Bretagne», accompagnées de caviar Osciètre.

GIOVANNINI, MAÎTRE DES SAUCES. Pour Franck Giovannini, la saison de la chasse représente aussi un défi d'un type inhabituel. En effet, de nombreux fidèles réservent des mois à l'avance pour venir deux ou trois fois, de manière à goûter tous les plats de la carte. Pour le chef, c'est alors une question d'honneur que de leur proposer un menu différent à chaque passage. Ce qui vaut aussi pour les sauces. «Comme nous ne voulons pas nous répéter, nous cherchons une proposition originale pour chaque plat», assure Franck Giovannini. Mais il y a encore plus étonnant: comme tous les clients ne sont pas des amateurs passionnés de gibier, le restaurant a aussi créé un menu d'automne tout à fait normal, sans oublier la nouvelle carte, toujours d'une richesse impressionnante. Nous avons fait le compte, elle propose actuellement près de 50 plats différents. Une telle diversité, avec ce niveau de qualité, ne se retrouve qu'à Crissier.

 

Le restaurant de l'Hôtel de Ville de Crissier

 

Photos: Jean-Michel Delessert, Gabriel Monnet